Le soleil brillait. Cela aurait dû être une belle journée pour tous les habitants de la Terre, mais elle ne parvenait pas à faire taire l'appréhension logée au creux de son ventre. Ses pas légers et trop lourds résonnaient sans bruit dans le cœur de l'été. Il suffisait de longer le chemin de fer, le bâtiment blanc se dressait au bout. Il fallait s'annoncer, franchir la grille verte, attendre.
C'était la deuxième fois.
— Nous serons deux à vous recevoir.
Troublée, elle regarda les deux femmes qui étaient apparues dans l'encadrement de la porte avant de se lever. Elle ne se rappelait pas qu'on l'eût prévenue. Quand elle était sortie, elle avait senti la déception se tapir dans son cœur. Ça avait été trop court. De retour à l'air libre, elle avait oublié tout ce qu'elles avaient dit.
Même jour, même heure. Une semaine plus tard, elle se retrouvait là. Sauf qu'elles étaient à présent deux à tenir une feuille.
Elle parla. Il fallait faire sortir les mots, les dépecer de leur robe de honte et de dégoût, oser ne pas les ravaler.
Il lui semblait que la psychologue prenait moins de notes, qu'elle écoutait et s'exprimait davantage. Le crayon de l'infirmière bougeait de façon différente, comme s'il glissait sur le papier au lieu de le couvrir de lignes. Même quand elle levait les yeux, il était toujours en mouvement. Elle se demandait ce qu'elle écrivait.
Elle était impressionnée par leur absence d'émotions. Leur visage ne trahissait aucun choc ; aucun jugement ne tremblait dans leurs paroles, même lorsqu'elles posaient les questions immondes, qu'elle avait toujours voulu qu'elles posent. Même lorsque certaines choses n'auraient jamais dû être dites.
— C'est tout ?
Non, ce n'était pas tout. C'était assez.
Elle hocha la tête.
Elle se levèrent et se serrèrent la main. Alors qu'elle s'apprêtait à partir, l'infirmière la retint et lui tendit sa feuille. Confuse, elle eut un mouvement de recul. Les professionnels de santé n'étaient pas censés faire lire leurs notes aux patients. D'un sourire encourageant, elle l'incita à saisir le papier.
C'était un dessin.
Le dessin d'une fille se tenant un peu trop droite sur son fauteuil, une main refermée autour de son poignet. Un oiseau volait au creux de son cou. Ses longs cheveux se perdaient dans le noir de son être. Ses yeux ne fuyaient pas, ils n'étaient pas rivés au sol ; elle regardait droit devant. Sa bouche était entrouverte, elle parlait. Ses pieds étaient posés l'un par-dessus l'autre, se riant de l'incertitude. Elle dégageait une aura timide, mais on en avait tu le pathétisme. Elle se voyait telle qu'une autre la percevait. Elle était normale. Elle était presque belle. Elle n'était pas un monstre.
Elle était émue par la force avec laquelle l'illustratrice avait insufflé son intention dans le dessin. Elle refoula ses larmes.
— C'est pour toi. Tu peux le garder si tu le souhaites.
Elle plongea dans les yeux de la femme qui lui faisait face, les mots bloqués en travers de la gorge. Elle se raccrocherait à leur bienveillance. Elle aurait voulu photographier leur sourire. Ce souvenir ne méritait pas d'être dévoré par les autres.
Elle partit le cadeau dans les mains. Sur le chemin, elle fixa les deux petites ailes qu'elle avait dessinées autour de ses yeux, plus tôt dans la journée. Les ailes de l'espoir, les ailes de la confiance.
Elle espérait qu'elle viendrait, un jour.