23. Bacchus et cetera

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Palerme, taverne




Dans la taverne sombre de Palerme, Hamilcar fait signe à Hannon de se taire et continue d'écouter discrètement la conversation entre les deux romains de la table d'à côté.



RUSSUS (ivre)
Crois-tu sincèrement mettre la main sur les richesses de Pyrrhus ?

RUFIN
Il le faut. Pyrrhus a quitté l'île précipitamment, le peuple s'est soulevé.

RUSSUS
Et ce même peuple ne va pas nous faciliter grandement la tâche... Tu en as conscience ?

RUFIN
Ecoute Russus, je ne sais pas ce que ton père t'a appris, mais je ne recule en rien devant l'adversité.

RUSSUS (levant son énième verre)
Mais moi non plus ! (Parlant fort) Allons dépouiller l'île de ses trésors ! A Bacchus !

ROMAIN
Pas si fort, Russus.

RUSSUS
Quoi... Aurais-tu peur à la fin, Rufin ?

RUFIN
Évitons d'attirer les regards. Je t'ai emmené à Palerme pour affaires, non pour qu'on nous observe comme des bêtes. Il faut nous montrer le plus possible discrets.

RUSSUS
Ton homme a-t-il des informations si essentielles à te délivrer ?

RUFIN
Oui. Capitales pour la suite. La flotte Carthaginoise a subit de lourdes pertes contre Pyrhus. Et nous sommes ici pour inspecter leurs résilience.

RUSSUS
D'accord... Mais qu'en feras-tu ?

RUFIN (soupirant)
Si seulement tu pouvais voir plus loin que le bout de ton nez,  Russus! Contrairement à Carthage, Rome possède une armée terrestre composée presque exclusivement de citoyens romains et alliés. Mais elle ne dispose pas d'une flotte.

RUSSUS
Attends, tu es entrain de me dire que tu voudrais créer une flotte romaine ??

RUFIN
Chut abruti, pas si fort !


Rufin se retourne et jette un œil derrière lui. Hamilcar, Hannon et Carthalon font semblant de parler entre eux.


RUSSUS (attrapant le bras de Rufin)
Attends tu es sérieux ?? Tu voudrais... (Réfléchissant quelques instants) Tu voudrais quoi au juste ?? Qu'attends-tu d'une flotte ? Des richesses ?

RUFIN
Donner à Rome le statut qu'elle mérite !

RUSSUS
Rome ne te suffit pas ?

RUFIN
Nous devons mettre la cité en sécurité, surtout si nous n'arrivons pas à vaincre Pyrrhus.

RUSSUS
Mais Pyrrhus bat en retraite. Le Roi des Molosses ne va pas s'attaquer à Rome, pas maintenant. Du moins je l'espère...

RUFIN
Quoiqu'il en soit, nous ne nous le laisserons pas faire. Et puis, regarde autour de toi, tout ce butin, qui ne demande qu'à être ramassé. Mon homme a parcouru la Sicile, et toutes ses richesses pourraient être les nôtres à présent.

RUSSUS
Tu oublies Carthage. Elle ne nous laissera pas faire.

RUFIN
Rome pourrait être aussi puissante que Carthage, sinon plus. Ton père, au moins avait des idées de grandeurs.

RUSSUS (saoul)
Ruffin, sais-tu ce qu'il est advenu de mon père et de ses idées de grandeurs ? Que sais-tu d'ailleurs de sa cécité ?

RUFIN
Et bien, j'ai ouï dire comme tout le monde qu'il avait subi la punition divine après qu'il eu rendu public le culte d'Hercule à l'Ara Maxima. Ce qui lui a valu le cognonem de "Caecus".

RUSSUS
Caecus, ce stupide surnom fait honte à ma famille !

RUFIN
Ton père est "aveugle" à présent. Peu importe ce qui s'est produit, si c'est l'œuvre des Dieux ou non.

RUSSUS
Mais Rome à tord de le nommer ainsi. Il mérite tout aussi bien le nom d'Appius Claudius Maximus !! (Levant son verre en parlant fort) C'est ça... Vous tous (interpellant la salle, ivre) Je suis Russus, le fils d'Appius Claudius Maximus !!

RUFIN
Pas si fort Russus ! (le faisant rassoir) Préférais-tu le cognonem "Crassus" ?

RUSSUS (se parlant à lui-même)
Ce surnom affreux dont on l'a affligé... (Regardant méchamment Rufin) Comment peux-tu me tourmenter de la sorte avec ce passé ?

RUFIN
Ton père a son lot d'ennemis ! Mais ça signifie qu'il leur fait de l'ombre aussi. Un homme sans pouvoir, est un homme sans ennemi. Soit fier de ce cognonem. Ton père est craint dans tout Rome.

RUSSUS
Mais il a été mis à l'écart...

RUFIN
Il s'est mis à l'écart ! Nuance. Si tu t'intéressais à la vie politique au lieu des orgies romaines à répétitions, tu le saurais !

RUSSUS
Je vais te dire l'origine de ce mal... Mon père, par deux fois, s'est opposé aux pontifes, leur enlevant leur monopole sur l'élaboration du droit et du calendrier.

RUFIN
Ton père s'est opposé à l'entrée de la Plèbe dans le collège Pontifical, "surtout". Cette attitude réactionnaire de la part d'un représentant de la vieille aristocratie patricienne a suscité la rancune tenace d'un certain nombre de représentant de la nouvelle noblesse plébéienne. N'oublie pas qu'ils accèdent aux affaires, et qu'il faut faire preuve de prudence. La provocation ne résout rien. Elle empire les choses. Tu devrais le savoir.

RUSSUS
Et après ? Tu sais qui nous sommes non ? Des Claudii ! Nous n'avons peur de personnes, même pas des dieux ! (Reprenant son verre de bière et son refrain) Je suis Appius Claudius Russus, fils d'Appius Claudius Maximus, Censeur, Consul par deux fois et dictateur. Qui peut se targuer de nos jours d'une pareille filiation ? Nous ne craignons rien, n'y personne.



Hannon, Hamilcar et Carthalon se regardent entre eux, pendant que Ruffin tente désespéramment de le calmer.



CARTHALON
Dîtes-donc, nous avons des huiles romaines derrière nous...

HANNON
Pas toutes fraîches tes huiles. (Montrant Russus, ivre) Je te parie qu'il va lui falloir la nuit pour se remettre de sa cuite.

HAMILCAR
En effet, il semblerait qu'ils soient en trouble.

HANNON
Les Romains... Leur arrogance m'exaspère. Regarde comment cet homme crache sur ses propres Dieux...

CARTHALON
Moi ce qui m'inquiète, c'est le plus vieux, qui a dit vouloir créer sa propre flotte romaine et rivaliser avec la puissance de Carthage...

HANNON (serrant son poing en l'air et tapant sur la table)
Si je pouvais les écraser.... tout de suite pour qu'on en finisse !!

HAMILCAR
Tu sais Hannon, le meilleur moyen pour détruire son ennemi,  c'est de le connaître. Et là, je viens d'en apprendre suffisamment pour me donner une longueur d'avance...

Sicile, grandeurs et décadencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant