Le Lion et le Faon - Acte 1

Le Lion et le Faon - Acte 1 (complet)

Une lumière. Juste là, à peine perceptible entre les sapins dansants. D'un orange chaleureux, tranchant net avec le traître brouillard. Ira avança à travers la purée de pois, luttant contre les bouffées de vent glacial qui lui giflait le visage et ralentissait sa progression vers cette lueur bienfaitrice. Ses cheveux blancs virevoltaient furieusement dans la tempête, et celle-ci faisait naître des larmes dans les yeux roses et éteints de la jeune fille, qui tombèrent sur sa tunique de coton trempée. Sitôt qu'elle retirait ses pieds nus du tapis de neige immaculé, toute trace de son passage était effacée par les flocons envoyés en rafales. Emplie d'un courage renouvelé par la mystérieuse lumière, Ira continuait sa marche désespérée à travers un paysage désolé, composé de sapins et de neige à perte de vue. Elle filait en une ligne droite et sûre, mais ses pas se faisaient lourds. Malgré les bourrasques glaciales, son corps ne lui transmettait aucune sensation. En fait, elle se sentait flotter, et aussi aspirée, comme tirée par un grappin invisible, obnubilée par son but. Ce dernier approchait, se rapprochait...

Soudain, le sol s'ouvrit et Ira fut engloutie par le tapis de neige. Pendant sa chute, qui fut longue, il lui sembla apercevoir des éclairs d'une lumière pâle, presque divine, tout autour d'elle. Enfin, elle atteignit le sol à une vitesse fulgurante, sur ses pieds et sans sentir quoi que ce soit malgré la fermeté du sol. L'obscurité était totale. Tout à coup, des murs de flammes se dressèrent tout autour d'elle, si hauts qu'elle n'en vit pas le sommet, produisant un son terrible et imposant. Les flammes ardentes rugirent et éclairèrent les yeux de leur prisonnière. Sans transition, les flammes cédèrent leur place à toute une farandole de créatures étranges qui dansèrent mécaniquement autour d'Ira. Des têtes de bœuf, d'âne et de bélier reposaient sur leurs corps de femmes nues, leurs yeux d'ébènes sans vie restaient fixés sur la jeune fille tandis que leurs jambes et leurs bras pâles aux longues griffes métalliques gesticulaient inhumainement. Leurs seins blancs se balançaient au rythme de leurs pas. Après un certain temps, les démons s'arrêtèrent et se mirent à pousser des cris abominables, longs et stridents, vaguement semblables à ceux des cochons égorgés. Ils levaient à présent la tête vers un ciel invisible. On aurait dit que les bêtes pleuraient. Et en effet, un liquide sombre s'échappait des grandes billes noires de leurs crânes : de l'encre.

Ira avait assisté à tout cela sans broncher. Elle était morte d'horreur mais demeurait pétrifiée au milieu des monstres gémissants, son corps lui paraissant peser une tonne. Les larmes des créatures coulaient à une vitesse incroyable, remplissant entièrement l'espace de ce qui semblait être une petite pièce. Le niveau de l'encre monta en léchant les jambes des démons et de leur prisonnière. Ils continuaient à pleurer et à hurler tout en battant l'air de leurs griffes. Elle restait immobile et regardait la scène avec effroi, les pieds enracinés dans le sol. L'encre atteignit sa bouche, ses narines, ses yeux, se déversa à l'intérieur de son corps sans qu'elle eut put pousser un cri. Elle suffoqua et tous ses membres se mirent à brûler, lui causant les pires douleurs imaginables.

Alors Ira se réveilla.

Chapitre I — Ouverture

À l'instant même où elle ouvrit les yeux, elle se redressa dans son lit et se mit à tousser violemment. Les larmes lui vinrent et elle frappa sa couette avec rage. Le sang lui était monté à la tête, comme si on avait tenté de l'étrangler. Pourtant, elle était seule dans sa petite chambre du vingt-et-unième siècle. Son cœur battait à un rythme fou et elle peinait à retrouver une respiration régulière. Elle se leva brusquement, trébucha, se releva et inspecta les moindres recoins de la pièce. Les murs dont la peinture décrépie tombait en lambeaux, les vieux meubles aux pieds recollés, la lampe de chevet qui émettait une faible lueur, le dessous poussiéreux du lit...