L'ASCENSEUR

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Dans la petite salle de réunion, debout autour de la table en verre, rayée au cours de ces trente-cinq dernières années, Raphaël et ses collègues levèrent ensemble le verre de cidre que Boris, le directeur de l'usine « AMAT et fils » venait de leur servir. Même si Raphaël n'était rentré dans l'entreprise familiale que depuis cinq ans, il avait vite trouvé ses marques et s'était intégré sans difficultés. Son travail de commercial lui avait permis de sillonner cette belle région du Gers qui l'avait vu grandir et qu'il affectionnait tant. A un an de passer le cap de la trentaine, Raphaël croyait sincèrement avoir trouvé sa place dans la société et pensait qu'il pouvait alors se consacrer à fonder une famille avec Laureen, maintenant qu'ils avaient tous deux trouvé un emploi stable et pas trop loin de cette vieille maison perdue au milieu d'un champ de blé et qui leur faisait envie depuis plusieurs mois. Mais le rêve, si près d'être atteint, disparaissait avec ce verre de cidre levé, qui marquait le début d'une longue période difficile à traverser.

- « Cette entreprise aura résisté à la crise, aussi longtemps qu'elle aura pu. Ne perdez pas espoir. Vous êtes toutes et tous exceptionnels et pleins de talent. Je lève mon verre non pas à la fin de cette entreprise mais à votre avenir ! ».

Boris Amat avait prononcé ces paroles avec un léger sanglot dans voix. Cette entreprise, située sur le site d'un vieux moulin à papier, avait été fondée par son grand-père, elle avait vu courir son père du haut de ses cinq ans dans le bureau qu'il occupa ensuite durant quarante ans avant de céder sa place à Boris qui aujourd'hui, devait se résigner à fermer l'entreprise familiale tuée par la technologie, internet et les courriels. Le papier à lettre, à entête et les enveloppes, n'étaient plus à la mode. Aujourd'hui on se « textote », on « s'e-mail » on ctweet », on «chatte », mais on n'écrit plus.

Raphaël regarda Laureen qui discutait avec Monique, la très sympathique standardiste. Il avala une gorgée de cidre, posa son verre presque plein sur la table en verre rayée et sorti de la petite salle de réunion. Boris lui emboita le pas.

             « - Raphaël !

Raphaël se retourna.

- Monsieur Amat. C'était un très beau discours.

- Merci Raphaël. Je me doute bien que ça n'est pas évident pour Laureen et vous. Je sais que vous aviez ce projet de racheter la vieille maison de Monsieur Briat.

- Oui, en effet, mais je suis prêt à rebondir.

- Je suis content de vous l'entendre dire ! J'ai justement quelque chose à vous proposer. J'ai un ami de longue date qui est directeur des ressources humaines dans une multinationale située du côté de Montparnasse à Paris. Il cherche des commerciaux. J'ai parlé de vous à mon ami et il souhaiterait vous rencontrer.

- C'est vraiment très gentil à vous, mais je préfère rester dans la région. J'ai d'ailleurs dans l'idée de quitter le secteur commercial pour reprendre l'exploitation de mes parents. Mon père a 65 ans et il aimerait pouvoir s'arrêter.

- La tradition familiale. Je sais ce que c'est et je le comprends mieux que quiconque, mais pensez à l'avenir : une telle opportunité ne se représentera peut-être pas deux fois.

Raphaël regarda pardessus l'épaule de Boris. Dans la petite salle de réunion, Laureen l'aperçut à son tour et lui sourît. Laureen et lui aspiraient à une vie simple et tranquille, entourés d'enfants dans la vieille maison retapée près des champs de blé. Boris Amat mit une carte de visite dans la poche de chemise de Raphaël.

- Réfléchissez-y tous les deux. ».

* * * *

« Que diable allait-il faire dans cette galère ? ». Cette phrase de Molière vint immédiatement à l'esprit de Raphaël au moment où il se retrouva au pied de l'immense tour de verre qui semblait toucher le ciel gris et pluvieux de ce lundi matin parisien. En entrant dans le hall immense et froid, aux murs en granit et au sol en marbre gris, Raphaël crut un instant pénétrer dans un autre monde. Lui qui avait connu toute sa vie l'accueil et la chaleur des gens du sud-ouest, il se retrouvait à présent au milieu d'une foule anonyme, au pas pressé, aux costumes identiques et à la mine triste. Il resta un instant à contempler cette fourmilière humaine puis il s'avança vers le comptoir d'accueil où quatre jeunes filles en uniforme commercial affichaient un sourire rigide et faussement accueillant.

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⏰ Last updated: Aug 07, 2018 ⏰

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