Mes goûts en matière de lecture sont à la fois très éclectiques et anachroniques (je puis le dire sans ambages, je n'entends cela ni comme un vice ni comme une vertu). Je ne lis généralement rien de populaire, d'actuel, de récompensé. J'ai eu tant de déconvenues avec des livres qu'on m'avait recommandés que j'en suis venu à redouter tous les conseils littéraires, en particulier issus du cercle tangible de mes fréquentations (famille, amis, collègues...) dont je ne puis, sans rudesse apparente, atermoyer les incitations. Je ne choisis jamais un ouvrage parce qu'il est célèbre, mais, quelquefois, malgré sa gloire ; je n'aspire aucunement, dans ces élections, à comprendre mon contemporain ou à acquérir une culture commune. Je me moque qu'on me demande un jour ce que j'ai lu, et je n'ai même pas la politesse de partager les lectures de ma femme, en dépit de ses sollicitations. Je ne suis pas curieux de ce que les gens lisent ; je n'ai pas assez de temps à perdre avec des opinions.
En somme, je suis, en matière de lecture, un monstre d'égoïsme (et en toute autre matière aussi, il me semble).
Presque tous les livres que je consulte au hasard sur l'étal de mon libraire me paraissent d'une abominable nullité racoleuse. Il me faut moins d'une minute pour mesurer cela : l'effort, dans l'écriture, ça se voit toujours quelque peu, en particulier quand on a soi-même l'habitude d'en faire ; c'est comme s'il restait un peu de sueur asséchée sur la page : je perçois très vite le travail des tournures, la science du terme précis et juste, le goût d'un style... ou bien, au contraire, le renoncement de toute ambition littéraire. C'est une science exacte pour moi, aussi analysable et objective, sans doute, que la qualité d'une démonstration mathématique.
Le thème d'un livre n'a presque aucun intérêt pour moi ; je ne lis jamais – s'agissant de fiction du moins – pour un sujet, mais pour un auteur. Dans mon appréciation d'un livre, mes goûts personnels n'entrent jamais en ligne de compte : je puis dire pourquoi une œuvre est réussie, achevée, originale – en fonction, certes, de critères que je me suis déterminés et qui ne sont pas destinés à faire consensus, bien que ces critères, pour moi, ne soient pas du tout subjectifs mais nécessaires (c'est ce qui me rend si catégorique : j'y ai beaucoup réfléchi) –, même si, au propre, je ne l'aime pas du tout. J'ai lu, à l'heure qu'il est, plus de 600 livres dans ma vie (j'écris ceci sans en tirer particulièrement orgueil, d'aucuns trouveraient même que c'est peu, je ne l'indique ici que pour information), et aucun ne parlait de la même chose : je ne me spécialise pas, il n'y a pas, dans ma bibliothèque, un rayon dédié à tel sujet ou à telle période.
Je continue de lire des romans bien sûr, mais aussi des nouvelles, des essais, des pièces de théâtre et des poèmes, à tour de rôle. Je suis probablement l'un des derniers Français, hors cadre scolaire, à acheter encore du théâtre et de la poésie. Mon libraire, que je visite souvent et qui me connait bien, est encore incapable, de son propre aveu, d'augurer quel livre me ferait plaisir : il me voit chaque fois élire des ouvrages si différents qu'il est déconcerté, me reconnaissant cette étrangeté, pour ainsi dire, de ne jamais tirer dans la même direction.
Souvent, chez ce libraire, je regarde par-dessus son épaule les ouvrages qui sont mis de côté en attendant leurs commanditaires, et je m'interroge : « Tiens ! quelle est la moyenne de mes contemporains, cette semaine ? Ah, cet auteur, encore ! Ah ! tel autre : je sais bien, il est passé à la télévision la semaine dernière. » Je suis généralement atterré par le manque de force d'âme, de volonté si l'on préfère, de mes « semblables » si dissemblables en lectures, moi qui aimerais tant être surpris ! Mais cela arrive quelquefois, et, quand je distingue là un groupe de livres dont je sais l'achèvement ou la grandeur, je demande toujours à Franck, mon libraire, quelques choses sur leur acheteur – homme ou femme, âge, profession, etc. Cela me pousse à rêver un peu ; j'admire de loin ces gens de fermeté et de goût.
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
Non-FictionDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.