A D A M
Et chaque jour après celui-là sur le même Pont, nous sommes revenus. Nous étions toujours là et nous parlions, sourions et retrouvions ce goût étrange que nous avions perdu d'une vie presque belle.
Chaque fois que je suis venu sur le Pont, elle était là aussi, assise sur les pierres instables qui hésitaient du sort à lui offrir, un petit sac sur le dos, des écouteurs, de la musique et des post-it parfois jaunes, d'autre fois bleus ou verts ou de toutes autres couleurs, avec un unique crayon noir.
Et alors, à mon tour je me suis prêté au jeu et j'ai, à mon tour, acheté des post-it. J'ai trouvé dans le font de mon sac en bandoulière, un vieux stylo bleu au bout rongé depuis un moment par de vilaines dents voraces. Des dents qui ont, depuis le temps, éventrées le pauvre bouchon bleu ressemblant à présent d'avantage à une fleur sauvage qu'à un bouchon de stylo bleu.
Et tous deux nous nous sommes un peu plus mis à écrire. Et tous deux avons un peu plus aimé cela, le bruit du crayon contre le petit papier coloré que nous collions par la suite sur une pochette de moins en moins vierge et dans un cahier où les mots s'entrechoquaient, dans la respiration de nos corps et nos yeux amusés qui se cherchaient lors de nos dialogues muets. Nous avons simplement aimé nous parler, les esprits remplis de paroles et aimé cet environnement sans mot.
C'est devenu ce petit quotidien qui fait pétiller mes journées et qui ravive ma bonne humeur !
La semaine est passée à une vitesse folle et nos vies avec... J'ai appris de plus en plus à connaître Myla et son cœur labouré en plein remuménage et elle, elle a appris également à me connaître.
Et peu importe qu'il neige encore ou vente comme pas possible, le Pont était à nous, ce quotidien, ce moment de grâce aussi. Myla revenait chaque matin alors qu'elle n'y était jamais obligée et moi aussi je revenais... Mais ce n'était plus pour retrouver l'aube en espérant ne pas y louper l'éveil du jour nouveau. Ni pour le prendre en photo avant que le soleil n'apparaisse totalement dans ce ciel de fin d'hivers... Non.
J'espérais, chaque jour retrouver cette fille. Myla, m'avait-elle écrit sur ce bout de papier datant à présent de quelques semaines, de quelques jours...
Et malgré ma réticence, j'ai fini par courir avec elle le matin. Au départ, j'avais tout tenté pour l'en dissuader, surtout après ma chute près du lampadaire et après avoir tellement couru que je ne savais plus comment respirer...
J'avais essayé de lui faire oublier notre marché un peu couillon... Mais c'était couru d'avance. Myla possédait cet étrange don de ne pas oublier les choses, une fois qu'on les lui avait dites, c'était pire quand il s'agissait d'une promesse !
On se levait donc pour pouvoir courir un peu, retourner au Pont dans la sueur de nos efforts, parler avec nos post-it et de temps à autres ma voix résonnantes, avant de rentrer chez soi pour prendre une bonne douche.
Puis, après ça, chacun de nous disparaissait dans son lycée respectif pour ne se retrouver que le lendemain matin.
La boucle était bouclée, nos vies semblaient prendre des tournures plus douces, moins assassines... Même si je courais toujours comme un pied, suais comme un porc, que Myla était dix millions de fois meilleure que moi, que ma dignité masculine en était un peu touchée et que j'avais des crampes à m'en arracher les muscles le lendemain.
Et pourtant, malgré tout cela : mes efforts pour nous voir aimer un peu plus la vie et nos êtes en tumultes avec nous-mêmes, Myla me semble toujours rongée par la douleur. Une douleur que j'aimerai plus que jamais réussir à consoler pleinement. Je voudrais pouvoir effacer ces souvenirs qui la blesse encore... Le souvenir de sa sœur malade et morte qui n'est plus qu'une image floue de son monde qui disparaît.
Et je crois que courir est pour Myla le seul moyen d'éviter ce souvenir, de le fuir...
J'sais pas si c'est la bonne méthode je dois dire... Tenter d'échapper à ses propres pensées, ce n'est pas très sain, surtout quand je la vois lutter comme ça contre ses démons...
Plus je la regarde courir, son corps suer et transpirer pour parcourir un peu plus de kilomètres entre cette réalité et cet ailleurs dont elle rêve, plus je me demande si ce qu'elle fait est bon pour elle... Je veux dire, elle s'amuse à épuiser son corps chaque jour, à blesser ses pieds couverts de cloques, à transpirer en tentant d'échapper aux souvenirs qui la maintienne à cette ville, qui la maintient à sa sœur...
Alors, j'ai décidé il y a peu, de la prendre en photo, juste une fois et comme promis.
D'une, parce que c'était dans notre marché, mais également pour pouvoir constater à quel point elle ne va pas mieux malgré tout ce qu'elle peut me dire. Pour m'obliger à réagir vite, avant que personne ne puisse plus jamais la rattraper à temps, même si pour l'instant je n'ai pas osé faire quoi que ce soit...
J'ai appris à voir ce qui se reflète dans l'âme des gens, le bon comme le mauvais, rien qu'avec quelques clics d'appareil photo. J'ai appris à voir au delà des apparences, parfois même, j'ai l'impression de mieux percevoir sur une photo que dans la réalité.
Quand je regarde la photo prise de Myla, je ne vois qu'une marre gigantesque de tristesse qui absorbe son âme à force d'être gardée et protégée en elle. Et putain, comme je veux l'éponger, cette malheureuse marre boueuse ! Comme je voudrais y déposer un pansement qui aurait le généreux pouvoir d'absorber toute cette eau sale et de lui rendre un véritable sourire !
Mais je n'y arrive pas et plus le temps passe, plus tout semble m'échapper dans ce monde et ces incohérences en échos avec nos âmes.
À présent, le week-end approche à grand pas et étrangement, j'essaie de retarder ce moment. Les parents de Myla ont accepté qu'elle vienne chez moi pour une p'tite soirée sans risque et mes propres darons ont fini par m'autoriser à inviter Rebecca, Aaron, l'amie de Myla et Myla elle-même.
Mais je sais pas. Au fond de moi, retarder ce moment est plus simple que de le constater approcher si vite sans que je ne puisse rien y faire...
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L'être de l'Aube
Genç KurguIl s'est tellement voilé la face qu'il ne sais plus ce qu'il est. Il a cherché, encore et encore ce que les autres lui cachaient, mais tellement, qu'il en a oublié de se trouver. Il n'est plus rien qu'une enveloppe vide qui résonne, seule, per...