Chapitre 21 - Fierté

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Point de vue de Lucas

Une nouvelle étape vient d'être franchie. Enfin deux. La première est d'ordre physique: je tiens sur mes deux jambes, enfin. Quel bonheur de pouvoir se tenir debout. Même si c'est à l'aide de béquilles, je marcherai à nouveau normalement d'ici peu. J'en aurais presque pleuré quand j'ai fait mes premiers pas. Apprendre à marcher quand on est enfant est compliqué mais ça n'a rien à voir avec le fait de réapprendre. Mes muscles sont un peu rouillés malgré les séances de kiné et il m'a fallu du temps pour retrouver mon équilibre. Ce qui nous semble une évolution normale dans les premiers moments de notre vie l'est nettement moins à l'âge adulte. L'énergie que j'ai du déployer pour parvenir à ce miracle est dix fois plus élevée que lorsque je courrais aux entraînements.

La deuxième est plus d'ordre psychologique. Ma colère s'est apaisée. Je suis parvenu à comprendre et surtout à m'ancrer dans la tête que j'ai le droit de rester ici à me soigner pendant que mon régiment est parti se battre. Cela ne fait pas de moi un moins que rien qui tire au flan, au contraire, je n'en sortirai que plus fort. Ce sont des paroles vite dites et qui paraissent peut-être un peu niaises mais elles n'en sont pas moins vraies. Franck m'a beaucoup aidé à y voir plus clair et à faire le tri entre les reproches que je me faisais et les faits. À première vue, j'étais furieux contre les terroristes qui m'avaient mis dans cet état, m'empêchant d'être auprès de mes frères. Mais après avoir creusé, il s'est avéré que c'était contre moi-même que je me battais. Je m'en voulais de ne pas être assez fort, de ne pas être déjà sur pieds. J'étais révolté contre le fait même d'être blessé. Je ne pouvais pas concevoir le fait d'être faible. C'est là que je me suis trompé. Je ne suis pas faible, ce sont ces idées saugrenues qui le sont et qui me bloquaient. À partir du moment où j'ai compris tout ça, mon moral est remonté en flèche et mes progrès ont été plus rapides. La deuxième raison à cette avance, c'est Audrey. Elle ne s'est probablement pas rendue compte à quel point sa visite m'a fait du bien. Savoir que je compte pour quelqu'un alors que ça n'a pas été le cas jusqu'à présent a changé la donne. Elle m'a donné l'impulsion finale.

Nous avons continué à nous écrire et à parler comme des amis mais nous savons pertinemment l'un comme l'autre qu'il y a plus que ça. Je comprends que la situation qu'elle a vécu l'a traumatisée et qu'elle préfère y aller doucement, surtout qu'il faut prendre sa fille en compte. Audrey est une mère avant tout. Elle commence seulement à comprendre qu'elle est femme également et qu'elle a le droit d'avoir une existence propre. Nous réapprenons tous les deux à exister: elle en tant qu'être humain à part entière et moi comme un homme et non en tant qu'un être fragile, blessé et en colère.

Une seule ombre est à rajouter au tableau: Franck va bientôt nous quitter. Je suis heureux qu'il aille mieux et je ne peux que lui souhaiter d'avoir une vie meilleure maintenant qu'il est sur pied. Cependant je ne peux m'empêcher d'avoir une pointe au cœur en pensant que je ne le verrai plus. Il a été comme un mentor pour moi depuis mon arrivée ici, me faisant rire quand j'étais triste et m'aiguillant quand je partais dans la mauvaise direction. Il a agi comme le père que je n'ai jamais eu. D'après ce que j'ai compris, il est très proche de Gabriella. Je ne m'inquiète donc pas pour sa réhabilitation à la vie hors du centre. Elle sera là pour veiller sur lui comme elle le fait pour nous tous ici.

En parlant du loup, la voilà qui débarque dans la salle comme tous les matins. Sa bonne humeur est contagieuse et me fait sourire.

- Bonjour Allan. Bonjour Lucas, comment vas-tu ce matin?

- Mieux quand tu es là, lui répondis-je en riant.

- Flatteur va. Mon petit doigt m'a dit que tu as fait des progrès énormes ces derniers jours. Tu me montres?

Lettres inavouablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant