Chapitre XIV : Le génie mécanique (Partie 4)

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J'observe le soleil achever sa course, par ces quelques rayons qui percent encore chez moi. Il est temps de manger, d'ailleurs cela fait quelques temps, quand même, que mon repas a été amené. Soit, je n'ai pas très faim. Mais les impératifs du corps ne me sont pas étrangers, et puis je ne renonce pas à ce pichet amené un peu plus tôt. Après tout, n'ai-je pas une immense victoire à fêter ? Je n'hésite pas, et j'abuse quelque peu, même. Oh je ne me saoule pas pour autant, mais je me laisse aller à obstruer mes sens pour un temps avec quelques petits verres. L'effet est toujours aussi saisissant, l'euphorie me retrouve. Sur tout cela, je vais me coucher, et savoure, allongé, cette perception si atypique. Je ferme les yeux et me laisse aller.

***

Mon corps me hurle de me réveiller. Mais que c'est difficile. J'entends effectivement une voix à mon oreille, je sens ces bras me secouer. L'effort est surhumain ! J'ouvre enfin une paupière, puis l'autre. Je crierais au scandale si je n'étais aussi ensuqué. On me demande, paraît-il. C'est ce que je crois percevoir de ces chuchotements. Je grommelle et tente de me défendre. Je veux dormir. Mais les voix affaiblies sont plus pressantes. Je ne parviens à articuler mais esquisse un mouvement comme pour donner mon accord. Ils me relâchent. Je tente de me lever. Que c'est dur ! Je pose un pied au sol. Puis l'autre. Je tente de lever mon buste. Il retombe instantanément. Je laisse passer un instant avant de réessayer. La magie opère je suis sur mes pieds. Mais je sens des bras qui me supportent. Décidément, que m'arrive-t-il ?

Ces maudits bras charitables me passent rapidement une tunique avant de me conduire dans la nuit. Il devrait faire frais, mais je baigne dans une douce chaleur. J'aurais protesté si j'avais pu, je ne suis pas apprêté, mais je n'en trouve pas la force. Les bras me conduisent et je les suis avec la plus parfaite approbation, bien qu'ils ne me laissent guère le choix. J'entends un bruit qui me fait sursauter. Du-moins, intérieurement car mon corps est inerte. Il parvient tout juste à aider ces bras serviables à supporter mon poids. Quand je suis hissé sur une selle, je comprends enfin d'où provenait ce renâclement.

Ça y est, on me remet en route. Je ne sais pas où l'on va, mais j'imagine que je devais être trop lourd à porter. Je regarde alentour, mais ne parviens longtemps à garder mes paupières ouvertes. Je tente un effort de concentration. La lune m'éblouit. Je renonce. À quoi bon ? Je serai bientôt fixé, quand ils m'auront amené à destination. Le cheval qui me porte pose le sabot dans un trou et je manque de tomber. Les bras me rattrapent in extremis et me remettent en selle. Je parviens à me faire violence et à m'accrocher de toutes mes faibles forces à ma monture, enroulant mes bras autour de son cou. Aussi, quand soudain il bondit, ce n'est pas sans une forme de fierté que je parviens à résister à l'accélération.

Je sens le vent qui caresse mon visage. C'est si agréable. Les soubresauts du galop me bercent. Mais je parviens à garder ma prise. Mieux vaut ne pas se rompre le cou. Où vais-je, je n'en sais rien. Mais je suis bien trop concentré pour pouvoir m'en préoccuper. Dans quelques minutes, sûrement, je serai arrivé à destination et je pourrai me reposer tout mon saoul.

Pourquoi me sens-je si faible ? Je commence à retrouver un autre sens que celui de l'équilibre. Mon ventre commence à me faire souffrir. Je ne suis décidément pas en forme pour un tel voyage. Un voyage ? Mais où vais-je donc ? Oh, et puis quelle importance ? Malgré tout, j'essaie d'ouvrir mes paupières collées. Après un ultime effort, j'y parviens, mais des lueurs orangées viennent concurrencer la lune. J'abandonne et laisse ma monture poursuivre sa route.

Cependant, on ne me laisse pas se loisir, un mouvement brusque et mon compagnon me désarçonne. Je roule à terre. Ma position est inconfortable, mais je me laisse aller. La tentation est trop grande. Je me perds dans les limbes de ma conscience. Je ne vois donc pas cette flèche arriver, je ne sens donc pas mon torse se faire perforer, je n'entends donc pas le dernier râle de ma monture, je ne goûte donc pas le sang dans ma bouche. Je suis en paix, voilà tout. Et je me laisse aller.

Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant