Chapitre XV : Le jeune amoureux et perdu (Partie 2)

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Je me réveille de manière soudaine. Je dois me lever. Malgré l'heure. Malgré l'engourdissement de mes membres. Je bouillonne malgré moi, mon âme est en éruption. Je ne vois pas clair pour autant. Trop de choses apparaissent. Je suis égaré, mais j'apprécie cette sensation, cette ivresse du cœur. J'apprécie cette souffrance qui le consume mais me pousse malgré moi dans la nuit fraîche. Souffrance, que je t'aime en cet instant, quand tu me fais saisir ce morceau de charbon dans l'âtre refroidi, quand tu m'entraînes sans que je ne le réalise vers cette planche mise au rebut.

Mes membres reprennent vie, ma main trouve son chemin, poussée par un instinct supérieur. Des marques apparaissent, qui se transforment en lignes, en courbes, maladroites, d'abord. Le charbon s'appuie désormais d'un canif, qui veut rendre pérenne cette valse de la peine. Ce que quelques élus peuvent décharger avec des mots immortels, je n'ai d'autre choix que d'y adresser ma force et forcer mon adresse, pour obtenir un résultat semblable. Mais les années passées à tracer dans la poussière, si la guerre les a faites oublier à mon esprit, jamais elles n'ont disparu des fibres de mon corps. Et prend vie ma douleur, qui passe de mon âme à la planche. Elle est si belle... Et l'exorcisme continue, parfois interrompu par la disparition du bout de charbon sous ma folie furieuse. Je hurle, non pas grâce à mes cordes vocales mais avec toutes les parties de mon être. Cri silencieux perdu dans la nuit agitée par tant de rêves fantastiques, tant de cauchemars éprouvants, tant de remords, tant de sanglots. Tant de sagesse, aussi. Tant de beauté, enfin.

Je prends vie, véritablement, au point que je me demande ce que je serai sans ce supplice. Une ombre. C'est une partie de moi. J'ai besoin de souffrir. C'est ce qui rend l'Homme si digne d'intérêt. Si différent, aussi. C'est ce qui guide ma main en cet instant, en une liberté créatrice. Ce qui fait apparaître cette silhouette, fleur en main. Ce dont nait l'esthétique la plus pure. L'artiste, après tout, n'est-elle pas la part de l'âme qui souffre ? Le rigoureux insensible est-il seulement capable d'imagination ?

La fragilité est notre plus grande force.

Je tire un trait final, et me laisse tomber en arrière, yeux clos, soulageant ainsi mes genoux souffrant que je n'étais plus capable de sentir. Non pas qu'une onde m'ait propulsé. Mais je veux pleinement savourer ce moment, laisser ce souffle m'environner totalement. Je le sens me quitter petit à petit, mais je me refuse à le traquer. C'est peine perdue. Et je suis vidé, je n'en aurais pas la force. Je suis dans un état second, immobile. Je sais que tant que je serai là, dans cette position précise, je sentirai encore le vestige de sa présence, comme l'on voit l'empreinte laissée par un corps sur un lit.

Mais malgré moi, mais yeux se rouvrent, et la pudeur me pousse à m'empresser de me remettre sur pieds, ainsi que de m'épousseter avant de saisir mon œuvre. Qu'en faire ? Je devrais la détruire, mais ne peux m'y résoudre. J'aimerais pouvoir quitter ces murs et la dissimuler dans les bois alentours, créer un nouveau mystère dans la sylve qui en compte déjà tant. À-défaut de pouvoir exécuter ce plan, je décide de dissimuler cette petite planche dans mes paquetages, en attendant. Je n'ai pas le cœur aux manigances. Je souhaite juste me coucher, et rêver.

Mais à mon habitude, je réfléchis, malgré cette désertion de toutes mes forces. J'ai été naïf, certes. Oui, l'espoir est bon pour les imbéciles. Mais je suis homme, et en tant que tel, j'en avais besoin. J'en ai besoin. Il faut une touche de candeur, pour vivre, sans laquelle le monde devient si sombre... J'ai souffert, mais au-moins j'ai vécu, et plus que ça, j'ai créé. Je suis un sot, nul doute, mais Dieu que je chéris cet espoir si fuyant. C'est ainsi que je me laisse embrasser en paix par les bras doux et délicats de la nuit. Je l'aime.

Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant