Chapitre XV : Le jeune amoureux et perdu (Partie 3)

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Étrange spectacle, qui s'offre à nous. Le camp, notre geôlier, semble bien désordonné, le ton semble monter. Peut-être n'aurons-nous pas besoin d'aide extérieur pour briser ce siège. Les plus grandes failles sont internes, au plus profond, rien n'est plus évident, je suis bien placé pour le savoir. Mais je prie pour qu'une lubie soudaine, un empressement fatal, ne nous jette pas dans cette mêlée qui semble se profiler, au loin. Si loin. Et pourtant si près. Si proche est la résolution de ce conflit. Finalement, j'aurais peut-être survécu à cette étape.

Le fil de mes pensées se coupe, la voilà qui passe. Je n'ose affronter son regard, et hésite plus que jamais à aller lui parler. N'est-ce pas le moment ? À l'issue de ce conflit, sûrement viendront les adieux, si rien n'évolue. Mais d'un autre côté, il faut que j'apprenne à me sevrer. Et ma rigide et rigoureuse conscience me pousse à la laisser venir, tout cela est clair. Ce sera un bon moyen de voir si elle se préoccupe un tant soit peu de ma personne. Mon regard reste donc fixé sur l'action qui se profile au loin, ne jetant que quelques coups d'œil furtifs, malgré la torture que ce jeu du chat et de la souris m'inflige.

Heureusement, les discussions avec mes camarades soldats viennent me distraire quelques temps et m'empêchent de succomber de nouveau tandis que je peux la voir échanger avec d'autres hommes. Je ris aux blagues, je participe à la conversation, bien que je sois ailleurs, je m'y contrains, je ne dois rien laisser paraître. Rester fort, tel est le maître mot. Cependant, je le sais, ma voix porte légèrement plus, comme pour être entendue, et je bombe le torse. Puéril, je le réalise. Mais l'amour ne l'est-il pas ? Ne se nourrit-il pas de l'innocence ? Est-ce autre chose que l'expression la plus destructrice de notre si chère naïveté ? Âme sœur, moitié, tant de termes qui veulent nous ramener à cette idée rassurante d'un destin, d'une voie toute tracée, comme l'est la vie d'un enfant.

Et tandis que ces pensées me viennent, je sens la haine qui monte. Pas envers elle. Pas vraiment. Après tout, les opposés s'attirent. De l'amour à la haine, il n'y a qu'un pas. La roue tourne, ne s'arrête jamais et mes émotions y sont attachées, condamnées à cette ronde passionnée jusqu'à ce qu'enfin le tumulte de mon cœur soit étouffé par ma si bienveillante raison.

Les éclats de voix qui proviennent du camp de l'ennemi s'intensifient. Nous en entendons désormais les échos, bien qu'il nous soit impossible de distinguer un traître mot. Mes compagnons s'en félicitent, ils voient enfin les rayons pleins d'espérance percer le brouillard de la guerre. Je suis moins enthousiaste qu'eux. Heureux, certes. J'en aurais réchappé. Mais toujours ce goût cendreux d'inachevé.

Qui eut cru que ce détestable officier qui nous aura donné du fil à retordre pendant des semaines me remettrait d'aplomb ? Il nous apprend qu'il est grand temps de frapper tant que l'ennemi est divisé. Il semblerait d'ailleurs que quelques épées sœurs se soient déjà tirées. Apaisé, j'aurais pesté, maudit celui qui nous conduit à un ultime massacre alors qu'une victoire semblait naître d'elle-même. Mais en cette humeur trouble, l'occupation du combat ne ressemble qu'à une bénédiction. Égoïste, c'est vrai. Je ne culpabilise pas pour autant, je ne reste qu'un pion sur l'échiquier, rien de tout cela n'est de mon ressort.

Je risque un dernier regard tandis que je récupère mon équipement. Une pointe de nostalgie m'étreint. Quoiqu'il advienne, mon temps en ces lieux touche à sa fin. L'expérience aura tout de même été belle. Instructive, du moins. Pas de regret, juste une touche d'amertume. Je pars d'un pas rapide, j'ai hâte d'en découdre. Hâte de me vider l'esprit.

Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant