pluie sur le cimetière

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Enfin un jour sans pluie. Thomas se surprends à penser une telle chose, il aime la pluie. Mais après tant de temps à vendre ces doses dans ce temps continuellement hivernal, il ne rêve plus que d'été. Londres est une épée à double tranchant. Seule sa noirceur vaut sa beauté. Seul le nombre de pauvres types perdus qui sombrent dans ces quartiers sombres vaut le nombre de touristes venus l'admirer. Tant de haine, tant de racisme, que Thomas ne comprendra jamais. Peut-être que c'est parce que son père qu'il ne reverra jamais est blanc et sa mère, à qui il s'efforce de ne rien montrer de sa noirceur quand il lui sourit en lui affirmant que son stage de professeur de mathématiques est bientôt fini tout en se rappelant son but de la faire sortir de ces quartiers avec l'argent de la drogue, unique moyen disponible dans la réalité de sa vie, est noire. Quelque chose est mort dans son regard qui, malgré la couleur verte de ces yeux, a l'air noir.

Pas de pluie aujourd'hui. Mais un froid polaire, le vent lui glace les joues pendant qu'il compte les passants. Il aurait vraiment besoin d'une bonne écharpe -et d'un bon manteau aussi d'ailleurs, il en a marre de ces survêtements qui le laissent en proie aux crocs du froid. Un client arrive, ça se voit à son a attitude, les heures passées sur les trottoirs de Londres ont appris à Thomas a facilement discerner les clients des passants ou des poulets. De toutes façons, Daniel et Pitt, tenant chacun un coin de la rue, n'auraient jamais laissé passer un flic sans lâcher l'habituel cri d'alerte. Un dernier regard au ciel gris qu'il déteste et aime à la fois avant de sauter de son muret.
- Salut.
- Ouais, il te faut quoi, gars?
- Un dix si possible mon frère.
Thomas ne sourcille pas à cette appellation, il l'accepte, ils sont biens frères de galère, ce client connaît sûrement une vie de chien dans un quartier tout aussi sombre que lui. La misère créé des fraternités.

Après avoir sorti un petit pocheton de sa sacoche grise et l'avoir glissé dans la main de son client, il remonte sur son muret. Trop de pertes d'amis. Plus d'amis, seulement quelques frères et un respect pour presque tous les autres. Quelle vie grise à être dehors par tout les temps comme un guerrier. Maintenant que ce système raciste l'a mis sur la touche, il n'a plus rien à perdre et ça va être au premier qui sera millionnaire. "Quand les règles de jeu ne te laisse pas jouer ton brelan, triche et joue une quinte flush royale" comme dit Daniel.

Un gamin d'une dizaine d'années passe. Qui est asser fou pour laisser son gosse se balader dans ce quartier à cet âge, un blanc en plus? Il pleure à flots mais ses yeux laissent une autre émotion que cette tristesse profonde. La haine. Thomas connaît trop cette expression pour ne pas la reconnaître directement.
- Eh! Toi le petit. Passe par ici.
- Heu... Quoi?
- T'as quoi?
- La police... Ils ont pris mon papa ce matin, tôt. Un d'eux m'a regardé, dégoûté en me disant que je suis le fils d'un monstre. Betty m'a dit qu'il va sûrement "prendre du ferme" mais je sais même pas ce que c'est le "ferme".
- Attends. C'est qui Betty?
- La madame qui habite en bas de mon immeuble.
- Et ta maman?
- Elle est morte.
Merde. Presque la même histoire qu'il y a 11 ans. L'image de son père menotté avec la semelle de ce flic sur la nuque réapparaît devant les yeux de Thomas.

- C'est quoi ton prénom mon petit?
- Je m'appelle Tobias.
- Viens Toby, je vais te laisser dans un petit magasin d'une connaissance et quand j'aurais fini mes affaires, je t'emmènerai manger un bon truc.
En rentrant dans un minuscule magasin qu'il lui indique, Toby lâche la main de Thomas.
- Paki! Donne lui une bouteille de jus de fruit à mon compte et garde la jusqu'à tout à l'heure.
- Quoi?! Eh Thomy reviens!

Quelques douzaines de clients et moins de 3 heures plus tard, Thomas salue Dani et Pitt et se dirige vers le night shop de Paki.
- Thomy! Enfoiré! J'ai gardé ton petit mais me prends plus jamais pour un baby-sitter!
- Ouais, c'est bon, arrête de mes péter les tympans. Merci vieux, je te revaudrais ça. Toby, viens. On va manger.
- On va où?, interroge timidement le garçon.
- Chez ma mère.

Après de longues volées d'escaliers, Thomas sonne à la porte de chez lui. "Tu rentres tôt pour une fois", lui lance sa mère en ouvrant la porte une lavette rose maculée de noir et de brun à la main, "Mais? C'est qui cet enfant?" Sous le regard interrogateur et exaspéré de sa mère, Thomas réponds: "C'est mon petit frère, je m'occuperai de lui, t'aura rien à faire Maman. Laisse le manger avec nous." Sa mère soupire en les laissant entrer, elle sent les problèmes arriver encore une fois. Son fils croît encore la tromper avec cette histoire de prof de math. Elle sait pertinemment qu'il a fait tout son possible pour suivre la bonne voie mais que ce système attendait la moindre faille pour le virer dans la case qu'il s'amuse à mettre en évidences dans tous les médias. Elle sait qu'il ne fait ça que pour leur survie étant donné qu'on l'a virée de ce job mal payé où elle lavait des bureaux toute la nuit. Ce soir, elle oblige le petit Toby a reprendre un bol de soupe comme elle le fait pour son fils.

Tobias a 19 ans maintenant. Il sort travailler en tant que serveur dans un grand café après avoir embrassé sa mère. Elle le regarde sortir du bâtiment en souriant, un fils que la rue ne lui tuera pas. Toby est passé au cimetière ce matin d'été dire à son grand frère qu'il a réussi son examen de première année de médecine comme il lui avait promis. "On se reverra là-haut, Thomas", chuchote-t-il en quittant l'herbe du jardin des morts mouillée d'une de ces pluies chaudes qu'aimait ce dealer parti.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 24, 2018 ⏰

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