V σ ι c ε s

2.9K 377 752
                                    


Le soleil se couchait derrière mes paupières closes. Brûlant, il réchauffait la rue de ses derniers éclats mordorés, et frappait mon visage qu'il illuminait d'un faible sourire.

Le même sourire. Comme chaque soir des beaux jours que je passais là, seul, assis sur le rebord de ma fenêtre grande ouverte sur le monde. Grande ouverte sur les arbres de mon jardin qui jouaient dans le vent et se paraient de milles nuances émeraudes.

Les yeux fermés, savourant la caresse de la brise dans mes cheveux, j'attendais. J'attendais puisqu'il n'y avait que ça que je sache faire.

Attendre.

Attendre pour vivre quelques secondes d'un bonheur furtif.

Attendre encore. Jusqu'à ce que la nuit s'empare du ciel et me force à tirer mes rideaux.

Les yeux fermés, je n'écoutais rien d'autre que les rires de la vie. Les murmures du bassin de mes voisins. Le vent dans les feuilles. Le ronronnement des voitures. Le tonnerre du train au loin. Les pas pressés des enfants qui sortaient de l'école. Et parfois même la voix d'un inconnu au téléphone.

Les yeux fermés, j'attendais que l'heure vienne. L'heure à laquelle mes prunelles s'offriraient enfin à la lumière rougie du soir. L'heure à laquelle j'entendrais enfin le claquement lent et discret de tennis sur le béton morne.

Il ne s'agissait plus que d'une question de secondes. De toutes petites secondes que je me sentais stupide d'attendre si passionnément. Mais c'était ainsi. Et j'avais eu beau essayer, lutter contre l'envie de retourner à ma fenêtre; c'était toujours plus fort que moi. Dès que le soleil descendait et baignait le sol d'or, je me précipitais dans ma chambre, et je laissais le vol des colombes découvrir sa voix.

Sa voix.

Ou la seule mélodie de la rue qui était parvenue à éveiller mes paupières cadenassées.

La seule.

Et parfois, je me demandais ce que ma vie aurait pu être si je n'avais jamais ouvert les yeux ce jour là, quand je l'avais entendu chanter.

Quand je l'avais entendu aligner ses mots. Si vite. Si précisément.

Et ses mains, voltigeant dans les airs, possédées par la vitesse de ses paroles. La violence de son ton. L'orage de sa musique.

Ce jour là, j'avais été tellement surpris que j'étais resté penché a ma fenêtre bien plus longtemps qu'à mon habitude. Revoyant sa silhouette noire et élancée avancer derrière le nuage de feuilles, et sa voix disparaitre dans le tourbillon de moteurs.

Depuis, je n'avais plus cessé de scruter mon trottoir, recherchant parmi les quelques humains qui s'y trainaient, l'ombre qui m'avait intriguée. La détaillant chaque fois qu'elle passait, écoutant attentivement sa voix masquée par le cri des voitures, apprenant par coeur sa démarche et ses gestes furieux.

Impuissant, j'avais fini par m'intéresser au garçon caché sous sa casquette et sa trop grande capuche. J'avais fini par n'aller à ma fenêtre que pour apercevoir un ridicule bout de ses jeans déchirés se dessiner ça et là derrière le branchage des arbres qui me brouillaient la vue. J'avais fini par n'aller à ma fenêtre que pour le voir lui, n'écoutant rien d'autre que sa voix.

Et chaque jour à la même heure, il repassait, ses écouteurs enfoncés dans les oreilles.

Et chaque jour à la même heure, mon coeur explosait entre mes côtes, envoyant à mon être entier des décharges d'émotions incompréhensibles.

Des émotions qui me rendaient fou.

Des émotions qui me rappelaient qui j'étais. Et qui il ne serait jamais.

「 Voices - Changlix 」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant