Je n'aurais jamais cru me retrouver dans une situation aussi déconcertante, aussi propre à ébranler la plus infime de mes certitudes.Une tension indicible parcourait mon être, s'insinuait dans mes membres et resserrait son étreinte autour de ma gorge.
J'étais prise au piège d'un malaise sourd qui ne trouvait aucun exutoire.
Le silence n'était troublé que par le grésillement intermittent de la radio qui peinait à capter un signal cohérent et qui crachait par intermittence des sons incohérents.
Mon regard s'égarait au-delà des vitres de la voiture, se perdant dans le spectacle fugace des arbres qui, dans l'obscurité, se dressaient puis s'effaçaient.
Mes doigts, livrés à leur propre nervosité, s'agitaient en un mouvement compulsif. Et ma gorge, aride me brûlait à chaque tentative d'avaler ma salive.
Une nausée sournoise s'insinuait aussi en moi.
Les minutes s'égrenaient également avec lenteur.
Depuis notre départ, aucun mot n'avait été échangé. L'habitacle tout entier semblait saturé de cette tension muette, de cette expectative qui ne trouvait aucun écho dans la parole.
Je voyais, du coin de l'œil, les mains du prince crispées sur le volant alors que ses phalanges se blanchissaient sous la pression qu'il exerçait sur le cuir du gouvernail.
Une raideur inédite courait le long de ses bras, et trahissait un agacement qu'il n'essayait même plus de dissimuler.
Comment en étions-nous arrivés là ? Lui et moi, contraints à ce voyage absurde, enfermés dans cette voiture alors que tout nous opposait.
Tout cela, simplement parce que Son Altesse désirait une once de liberté, un semblant d'échappatoire.
Parce qu'il préférait mon indésirable compagnie à celle des innombrables gardes qui veillaient sur lui, ces hommes qu'il ne voyait que comme un fardeau de plus à son monde.
Je pouvais comprendre, du moins en théorie, cet irrépressible besoin de s'affranchir des contraintes inhérentes à son rang.
L'opulence, parfois, emprisonne plus sûrement que la misère.
La richesse impose ses propres chaînes, et nombreux sont ceux qui, las du faste et de l'étiquette, ne rêvent que d'une existence plus simple, exempte des artifices et des obligations qui accompagnent le privilège.
Mais il est des vies que l'on ne saurait revendiquer lorsqu'on appartient à un certain monde.
Et malgré toute sa volonté, le prince s'accroche à un idéal qui n'est peut-être pas le sien, un rêve qu'il poursuit au mépris du danger, au mépris de ce qu'il est.
Lui : Quoi ?
Je sors brusquement de mes pensées, lorsque je réalise que mes yeux se sont posés sur lui et le fixait avec une intensité qui, sans doute, n'a pas échappé à son regard.
Mon Dieu... Comme si la tension qui sature déjà l'air de cette voiture ne suffisait pas.
D'un geste presque précipité, je détourne immédiatement le regard en feignant un intérêt soudain pour le paysage nocturne qui s'étire derrière la vitre.
Le front appuyé contre le verre froid, je ferme brièvement les paupières en priant intérieurement pour que ce voyage prenne fin au plus vite.
Et pourtant... Je savais que ces quatre heures en sa compagnie s'étireraient avec une lenteur cruelle.

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LE PRINCE ET LA CHRÉTIENNE
RomanceTravailler au palais royal ? Ce n'était pas dans ses rêves. À vingt ans, Merveille n'avait qu'un seul objectif : réussir ses études en médecine , aider sa famille, et garder pour elle certaines blessures qu'on préfère ne pas nommer. Quand une oppor...