Le temps est glacial, je tremble. La rue est partiellement agitée, peut être est-ce la faute à ces grelottements, qui font osciller ma vision. Je devine l'agitation lointaine, aux carrefours, j'entends les pas des femmes, les voix des hommes, le piaillement d'enfants. Quoique, les piaillements d'enfants sont plutôt des gazouillis d'oiseaux, des pigeons quoi. On est en ville, et même si le quartier est passant, ce n'est pas un endroit propice pour des bambins. Enfin je dis ça, mais je n'ai pas de gosse, et de toutes façons, on n'a jamais vu d'enfants dans la rue. Un enfant, ça doit rester chez soi, devant l'écran. Dehors c'est malsain, je veux dire, dans un quartier comme celui-ci c'est glauque. Y a des souffreteux, des putes, des types complètement dérangés. Il n'y a aucune devanture de luxe, de magasin affriolant, de square ou d'endroits convenable pour un enfant. Il vaut mieux pour eux qu'ils soient sur une aire de jeu connectée. Un endroit où ils pourront vraiment s'éclater, avoir des sensations fortes, nouer des amitiés. Depuis combien de temps je n'avais pas été sur une de ces aires ? Je devais avoir 16 ans la dernière fois, avec des potes, on en avait trouvé un pas mal. Les couleurs étaient bien psychédéliques, et il y avait des tampons gravitationnels exotiques. Quand on montait dessus, on avait l'impression d'être attiré pas vers le haut ou vers le bas, mais vers le ventre, ou la tête. J'adorais ça avant, les zones à gravité spéciales, ça m'a toujours fait de l'effet. Je me suis toujours imaginé que c'était comme les manèges de mon Grand-Père, mais sans les chevaux... Le dernier cheval que j'avais vu, il était dans une réserve, à l'ouest de la ville il me semble...
Fait froid, je vais attendre combien de temps encore ? Planté là dans la rue. Ça peut pas se magner un peu ? Ouais et donc avec le potes on était allés dans cette aire de jeu là, on avait ramené de l'alcool et Nico avait ramené des petits stimulants de sa composition. Ses "stips" comme il les appellent étaient vraiment bien. On avait passé la soirée là-dedans. Bien sûr on avait ramené des copines. John avait pas mal branché sur, je ne me rappelle plus comment elle s'appelait... un nom en Elle. Mais on en avait rencontré d'autres en ligne, apparemment elles connaissaient déjà. Je me souviens d'une blonde, pas mal du tout, on avait un peu flirté. Mais moi j'avais du stip dans les veines, et elle, bah elle n'en avait pas. Donc je crois que niveau feeling, ça pouvait pas vraiment le faire. Son cocktail devait être classique: euphorisant à souhait, léger trouble de la vision, un brin d'aphrodisiaque, classique quoi. Y avait pas la même vibe, pas la même drogue donc pas le bon feeling... Vers quatre heure du matin, John s'était retiré avec Elle, ils avait quittés le salon et avaient pris une chambre de l'appart. Mais quand j'ai vu son œil lubrique, et le regard en coin qu'il ma lancé, j'ai su qu'ils allaient s'enfiler un sacré petit aphrodisiaque stimulant, la stup d'or si on veut, son cocktail-dragon, confection personnel. Ah ah, sacré John. C'est quand il est revenu que ça a commencé à dégénérer. Avec Nico ils ont réussi à planter le système: l'aire de jeu était H.-S. Ça sert à rien d'y penser, mais je n'ai pas revu la blonde après ça... Je crois qu'avec Vinc, ils ont implanté un petit bot dans le système, et après ils ont foutu je sais pas quoi avec les tampons gravitationnels. Ils ont du les pousser à fond, et après, ça ne suit plus niveau temps de calcul et ça bugue le système. C'est fragile les espaces virtuels, vu que ça doit se dérouler en temps réel, et que y a des gens dedans, bah faut encaisser tous les calculs, et les machines bah, si tu les surmènes, surtout quand t'habites pas dans l'cube, bah ça lâche. Quand ça lâche tu as tous les protocoles automatiques qui s'appliquent: il faut évacuer les avatars, protéger les usagers, leur permettre de se déconnecter. Bref, ça casse l'ambiance. Et là, ils se sont bien débrouillés: ça à fait shutdown, j'ai cru qu'il y aurait un écran bleu, la zone a vibré et bam: écran d'urgence. Résultat on à du se déconnecter à l'arrache, ça m'a grillé le cerveau, il m'a fallu deux semaines pour que mon lobe frontal se remette bien. C'est dangereux quoi ! Ils sont vraiment stupides des fois. Enfin bon, plus de peur que de mal. D'habitude quand ça plante, c'est qu'il y a un retard de deux secondes, on a alors certains éléments qui disparaissent, les ordis qui rament à fond, et puis on change de zone: là leur foutu piratage il a bien planté le système. J'ai cru qu'on aurait la police qui se serait ramenée mais bon... Après, Jeanne nous a enfilé une petite décoction pour récupérer: elle était déconnectée la chatteuse, mais en vrai, heureusement qu'elle était là, on était dans l'coltar avec les potes...
Jeanne elle est plutôt posée. Elle est assez attentive et elle prend pas trop de stups de dévergondées, elle essaie d'être attentive aux autres tu vois le genre ? Bon... je crois que je vais rentrer... Franchement ça me saoule, j'attends depuis un bail et il n'est toujours pas là ? Bon... Encore un peu... Et puis Jeanne je commence à la connaître, c'est un peu comme une grande soeur tu vois ? Je me souviens, je l'avais rencontrée sur In, en même temps beaucoup de filles y sont. Elle s'est un peu calmée depuis, mais elle avait quoi à l'époque, vingt-trois mille followers ? Vraiment impressionnante. Je croyais pas qu'elle serait devenue ce qu'elle est pour moi aujourd'hui. Elle avait quoi, dix-huit ans ? Elle menait toute sa vie à la baguette: elle postait les bonnes photos, les bonnes publications... Elle savait y faire la garce. Mais elle était déjà comme ça à l'époque, on était jeune quoi, mais quand ça déconnait elle était là. Je la connaissais depuis deux ans lors de cette soirée. Je l'avais abordée, je m'attendais pas à ce qu'elle réponde. Et puis, coup de bol, y a eu le feeling. La dernière fois que je l'ai vue, c'était... Il y a un an il me semble. Elle a arrêté tout ça, son compte et tout. C'est assez inhabituel: pour nous, y a que la popularité virtuelle comme forme de réussite. Mais elle était pas conne, je crois qu'elle fait de la pharmacie maintenant. Enfin, ça ne me regarde pas. Elle est beaucoup moins suivie maintenant.
Tiens, le pigeon ! Il n'est pas trop moche: joli petit reflet sur le cou. Un peu de bleu, un peu de rose. Ouais les gosses... De toute façon c'est mal vu de sortir dans la rue. Le truc dans la vie, c'est de rester chez soi, profiter sur l'espace en ligne, et essayer de cartonner sur les réseaux sociaux. C'était tellement surfait avant, maintenant on a des affiches à effets spéciaux, même les photos des magazines paraissent à la masse face aux devantures de nos profils. Mon avatar est pas mal mine de rien, je lui ai acheté un petit tatouage luminescent la semaine dernière: c'est magnifique. Il faudrait que je lui ajoute une fonctionnalité hologramme et là j'aurai trop la classe. Qu'est-ce que tu veux qu'il fassent dehors les pauvres gosse: la vie est dur et y a pas le choix, faut travailler: y a que devant l'écran qu'on peut se former. Les expériences du dehors, c'est... Le froid ! J'en ai marre, ça caille trop: c'est pour ça qu'il y a des systèmes de livraison en ligne, pour éviter de se les geler debout. C'est pas une vie. J'avais vu un profil d'une meuf, et elle était suivie en plus ! qui disait qu'il fallait retrouver le contact avec l'extérieur, renouveler l'expérience du réel... C'est n'importe quoi, ça n'apporte rien, et le pire, c'est qu'il y a des moutons qui suivent ces... écologiste ? Ah, ça c'est pour moi !
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Un seul ciel
Science Fiction(Écriture de la partie 5 en cours... Patience) Dans un futur proche, où les drogues, NPS et substances psychotropes en tout-genre gangrènent au sein de la société; alors qu'étaler sa vie en ligne est monnaie courante pour gagner sa vie et que sortir...