29. Rendre des comptes

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On arrive au moment où la police sort de sa chambre. Elle nous remarque aussitôt.

— Vous êtes les jeunes qui ont trouvés Mademoiselle Li, hier soir ? demande l'un des deux flics. Avant même d'attendre notre réponse, le flic reprend :

— On a quelques questions à vous poser.

— Ça ne peut pas attendre, demande Ju déstabilisée. On aimerait aller la voir, inspecteur.

— Si vous voulez qu'on trouve le responsable le plus vite possible, non, ça ne peut pas attendre, répond-il sèchement. Et c'est lieutenant Hardy. Mademoiselle ?

— Pierce, répond June.

Ce flic tout chiffonné sent le tabac froid. Il ne paye pas de mine, mais il me fait bonne impression. Il semble vraiment prendre cette agression au sérieux. Le lieutenant pose de nombreuses questions sur nos relations les uns aux autres, nous fait parler de Kim, même Terrence, qui n'était pas là quand on l'a trouvée, requiert toute son attention. Il lui communique les coordonnées d'X et de Zane pour qu'il puisse les joindre. N'ayant pas la moindre idée du pourquoi ou du comment, nous ne sommes pas d'une grande aide. Le lieutenant intrigué par la perruque retrouvée sur le lieu de l'agression a appris par Kim notre subterfuge. Après avoir libéré June, pressée d'aller la retrouver, il me retient pour en savoir plus à mon sujet. T s'assied un peu plus loin et nous laisse en tête à tête. Le lieutenant émet alors tout comme X l'hypothèse que l'agresseur pourrait s'être trompé de cible et commence à me mitrailler de questions sur ma vie personnelle. « Y a-t-il un petit ami, un ex petit ami délaissé, un admirateur insistant...qui pourrait m'en vouloir ? Un incident particulier serait-il survenu récemment ? » Quand j'évoque le type du bar cloué sur un lit d'hôpital, il m'annonce qu'il fera des vérifications à son sujet malgré son état actuel. Je ne vois pas quoi lui dire d'autre, je suis presque invisible ici. Avant de conclure, il me demande d'être prudente, d'éviter de sortir seule de jour comme de nuit tant qu'ils n'auront pas éclairci cette affaire. Je pense immédiatement à mon garde du corps, merde, il va remarquer que je ne suis pas à ma résidence. J'ai un cours d'autodéfense dans vingt minutes.

Quand j'entre dans la chambre, June assise sur le lit tient Kim dans ses bras. Je n'ose pas les déranger. Je suis émue de voir à quel point elles tiennent l'une à l'autre. Après quelques secondes, elles remarquent ma présence et se retournent vers moi.

— Tu as vu les jolies fleurs qu'X m'a apportées ce matin, lance Kim en sentant leur parfum. Tu n'es pas jalouse, j'espère.

C'est un joli bouquet sauvage. Elle plaisante, c'est bon signe. J'ai du mal à faire bonne figure en la voyant sur un lit d'hôpital couverte de bandages.

— Je suis désolée Kim, dis-je, contrite. Comment tu te sens ?

— Ça va, répond-elle. Je suis encore sonnée mais essentiellement par les médocs. Ju m'a dit que tu te sentais coupable, dit-elle en me tendant la main. Tu n'as aucune raison de l'être. Tu n'y peux rien si un pervers m'a agressée. Arrête de te torturer.

Je m'approche et m'assois sur le fauteuil près de son lit. Kim continue de parler.

— Je n'ai pas encore réalisé ce qu'il m'est arrivé.

— Est-ce que tu veux en parler ? demande Ju hésitante.

Kim inspire longuement.

— Tout s'est passé si vite, dit-elle le regard perdu dans le vide comme si elle cherchait à se frayer un chemin dans les bribes de ses souvenirs confus. Je ne sais pas grand-chose. Je me suis presque tout de suite évanouie. J'avais juste envie de m'amuser, de me prendre vraiment pour quelqu'un d'autre, dit-elle un peu gênée par ce qu'elle raconte. Je suis sortie par le tunnel, je sais c'est bête.

Puis Kim reste un moment silencieuse. Nerveuse, elle s'éclaircit la voix avant de reprendre.

— Ce mec est arrivé de nulle part. Il m'est tombé dessus. Je n'ai pas eu le temps de réagir qu'il m'immobilisait par derrière. Je n'ai rien vu venir, rien compris à ce qu'il m'arrivait. J'étais prisonnière. Il était si fort, j'avais l'impression que son corps était dur comme du béton armé. Je crois qu'il m'a léchée, j'ai senti un coup de langue sur ma nuque. J'étais tétanisée. Il a ri d'un rire grinçant et malsain, à en glacer le sang. J'ai aussi ressenti comme deux piqûres, dit-elle en posant sa main sur son pansement à la nuque. Tout ça semble tellement irréel. Son bras m'enserrait le cou si fort que j'ai perdu connaissance. C'est tout.

June caresse sa main.

— Je me suis réveillée ce matin à l'hôpital sans savoir pourquoi je me trouvais là. Quand l'infirmière m'a expliqué que j'avais été attaquée et amenée ici en ambulance, je n'en revenais pas. Et puis toutes ces marques ! Ils ont compté vingt-trois coupures sur mon corps. Qu'est-ce qu'il m'a fait pendant que j'étais inconsciente ? s'interroge-t-elle d'une voix à peine audible. Heureusement, seulement deux d'entre elles ont nécessité des points de sutures.

Kim hésite à regarder June.

— Je ne devrais garder presque aucune marque.

— Je suis soulagée pour toi, répond Ju. Ça ne fait aucune différence pour moi, dit-elle, le visage empreint de tendresse. Tu le sais, n'est-ce pas ?

Elle hoche la tête et la pose sur June.

— Votre résidence est maudite les filles, soupire Kim. Il faut que vous déménagiez.

— On dort chez X, précise Ju.

— Oh ? C'est cool, dit-elle. Je suis rassurée.

— Tu verras, c'est un endroit peu commun, ajoute Ju.

On discute encore un long moment quand le téléphone de June sonne.

— Merde ! Sas, c'est ton père.

Il ne manquait plus que ça. Le garde du corps a dû l'avertir. Je sors de la chambre pour répondre. T assis dans le couloir attend les jambes étendues devant lui, les bras croisés derrière la tête.

— Bonjour, père, dis-je d'une voix posée. Tout va bien ? J'espère que vous ne vous êtes pas trop inquiété. J'ai oublié mon portable ce matin à l'appartement

— Il y a encore eu un incident près de ta résidence, dit-il d'un ton sec et coupant. Un garde du corps va venir te récupérer. Il s'appelle Tom Gibson. Où es-tu ?

Il a certainement déjà localisé le portable de June et sait très bien où je suis. Inutile de mentir.

— Justement père, je suis à l'hôpital. Je suis venue rendre visite à la jeune fille attaquée. C'est une amie.

— Saskia, tu rentres aujourd'hui. Ton besoin d'indépendance ne se fera pas au détriment de ta sécurité. Ton vol est réservé. Tu décolles à 17 heures. 

Entre tes Griffes 1 (Publié Aux Éditions HLab)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant