Te voilà assise dans ta voiture, tu rentres enfin chez toi. Tes vacances en famille à Barcelone t'ont vraiment plu, mais retourner à Paris n'a jamais été aussi urgent. Les moustiques en abondance, la chaleur étouffante n'était tout simplement pas ton truc.
Ca fait 40 minutes que tu as quitté la belle villa hispanique, et celle-ci te manque. La terrasse avec la piscine, le terrain de tennis ou encore les grandes chambres, voilà les choses que tu ne retrouveras pas chez toi. C'est vrai que dans ton petit appartement parisien que tu partages avec tes parents et ta sœur aînée, disons que la place pour la piscine est assez... restreinte.
Ta mère a été exécrable pendant cette semaine: elle t'a juste méprisé plus que d'habitude, t'a engueulé pour rien et n'a eu d'yeux que pour ton cousin aîné, Charles. Ce n'est qu'un adolescent pourri gâté et râleur, et même si tu supposes que c'est parce que ta mère n'a pas souvent l'occasion de le voir, tu sais au fond de toi qu'elle le préfère. Tu te rappelles cette fois où elle lui a acheté des chaussures à 120€ en moins de cinq minutes quand tu as du attendre les soldes pour qu'elle t'achète quelque chose? Ne joue pas la malvoyante, tu vois bien que ta mère se fiche de toi.
Tu viens de lui demander si tu pouvais sortir demain avec ta meilleure amie. Ta mère a catégoriquement refusé, s'ensuit alors un discours de tes parents que tu ne veux même pas entendre, tu t'attendais à cette réponse de leur part. Tu ne comprends pas pourquoi ils réagissent comme ça, alors tu te tais et écoute silencieusement de la musique, coupée du monde. Les larmes coulent sur ton visage, ça te gonfle.
Ca te gonfle qu'ils disent non à chaque fois, qu'ils te punissent sans raison. Tu te sens mal en ce moment, tu as juste besoin de voir ta meilleure amie, mais ils préfèrent t'en empêcher et prétendre être les parents rêvés pleins de bonne foi et de raison.
Foutaises.
Tu te mouches sur ta veste en jean humide et ne parle plus à personne durant quelques heures. Tu continues à ruminer et à exploser intérieurement, la musique dans tes oreilles te brise les tympans, mais tu t'en fous, tant que tu ne les entends plus.
Tu veux être seule maintenant, être dans ton lit et hurler car tu en as marre, comme tu le fais à chaque fois.
Soudain, la voiture tangue.
Tu as à peine le temps de regarder par la fenêtre que tu te fais brusquement propulser sur le dossier du siège avant.
Tu fermes les yeux et t'imagines dans ton lit, paisiblement.
Mais quand tu sens les bouts de verre dans tes jambes nues, quand tu perçois le goût du sang dans ta bouche, voilà que tu te réveilles subitement.
Des lumières de l'extérieur. Ta tête qui tourne. Les vitres brisées. Voilà tout ce que tu comprends.
Tu essayes de te relever, mais tu en es tout simplement incapable, tant physiquement que mentalement. Tu n'as juste pas la force.
Tu tournes la tête vers ta sœur aînée et cache tes yeux instantanément. Son visage angélique est gorgé de sang, son cou brûlé par la ceinture de sécurité et la propulsion de la voiture.
Tu aperçois des jambes depuis l'extérieur. Elles marchent drôlement vite. Elles sont aussi à l'envers. Tu t'apprêtes à le faire remarquer à ta famille doucement quand tu te rends compte que la totalité de ta famille a perdu comme connaissance. Baignant dans l'eau rouge, la bouche ouverte due à la surprise pour la plupart, ils sont comme absents.
Tu te mets alors à crier, à taper dans le vide dans l'espoir qu'on te remarque, pour une fois. Tu m'entends pas tes gémissements de désespoir tant ta tête est au bord de l'explosion. Tu pleures alors, mélangeant le sang à la couleur des couchers de soleil avec l'eau salée provenant de ton canal lacrymal.
Dix minutes, peut-être deux heures. Personne ne vient vers toi. Tu te penches et essaye de regarder devant toi. Une autre voiture. D'autres personnes. Il n'y a pas l'air d'avoir de morts, tu te dis. Les hommes à l'envers sont désormais près de l'autre voiture. Tu ne comprends pas, n'ont-ils pas vu que tu étais là? Tes cheveux te collent au visage tant les larmes coulent sans s'arrêter.
Tu n'as plus conscience du temps, tu attends seulement une quelconque aide en pleurant de désespoir. Tu as besoin d'être écoutée, la maintenant tout de suite. Tu t'affaiblis petit à petit, tu n'as plus la force, de crier.
Tu fermes les yeux, sans vraiment savoir où tu seras au réveil.Une heure.
Deux heures.
Trois heures.
Quatre heures.
Tu ouvres difficilement les yeux quand tu entends un homme s'écrier non loin de toi. Il s'approche de la voiture, lui aussi a les jambes à l'envers. Tu aurais ri si tu en avais la force. Il te demande si ça va, tu n'arrives pas à lui répondre. Tu sens que c'est la fin, qu'il est trop tard.
« J'aurais aimé être écoutée plus tôt »
Voilà les seuls mots que tu arrives à prononcer avant de t'endormir, toujours en imaginant ton lit dans ta chambre, comme d'habitude.