Mon miroir

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En fait, tout avait commencé six mois plus tôt, sur ITunes. 'Il faut que tu les écoutes', m'avait dit un copain à propos d'un nouveau groupe de rock. J'avais écouté. J'avais adoré et écouté en boucle un week-end entier, avant de me rappeler que c'était mon groupe de rock et que c'était ma chanson. Je m'aimait soudain encore plus que d'habitude. Six mois plus tard donc, je rejoins des copains à une soirée rock en traînant les pieds. Crevée, mal sapée, dessous pas coordonnés... On parle, on fume, on me présente d'autres copains. Et là, soudain, le coup au cœur. Une meuf belle comme une évidence. Juste pour moi. Le truc qui te noue le ventre et te coupe la respiration: tu ne sais plus parler, tu détournes le regard... Sauf que elle, j'avais l'impression qu'elle ne m'avait même pas vue. C'était un miroir. Qu'est-ce que j'étais belle !

Elle passe son chemin, la soirée suit son cours. Mais deux heures plus tard, alors que j'étais concentrée sur la scène, en train de siroter un Perrier, voilà l'apparition qui s'approche de moi, me demande si je bosse dans la musique. Je fait, comme je l'ai dit, du rock... Elle aussi. Elle fait partie d'un petit groupe de rock pas très connu. Ah bon ? Elle me fait écouter, et j'adore : c'est ma musique. J'aurais pu m'en douter, c'était la chanteuse de mon fameux groupe qui m'avait scotchée six mois plus tôt. Je lui raconte. On se regarde enfin, des papillons dans les yeux. On dit soudain, en même temps.

"Faut absolument qu'on se revoie..."

Et là mes antennes m'alertent :

"Attention dragueuse, tu n'es pas venue là pour te faire briser le cœur !"

Étrangement, je lit sur son visage qu'elle pense la même chose.... Mais nous continuons, toujours en parlant en même temps :

"Tout à l'heure, j'ai eu un coup au cœur, un truc énorme comme je n'en ai pas ressenti depuis longtemps. Non, ne me prends pas pour une folle..."

Moi, en fait, je succombe, en m'accrochant à mes dernières ressources :

"Connasse de rockeuse, tu ne m'auras pas comme ça, avec ta drague à deux balles..."

Je tend la main pour lui laisser un faux numéro de portable et elle fait exactement de même. C'est comme si on était connecté. Elle me plait de plus en plus mais je résiste et pars rougir dans un coin, comme elle.

Une heure après, alors que j'avais retrouvé mes potes, elle réapparaît et me demande ce que je fais en suite. Elle doit mixer jusqu'à 2 h 30 du matin, tiens, comme moi... OK, message reçu. Je suis épuisée, mais je me dis clairement :

"Si tu ne restes pas, tu le perds. Et si tu restes, tu te perds...'"

J'opte évidemment pour la seconde solution.

C'est fou tout ce que deux inconnus peuvent avoir à se dire. Nous avons passé la nuit de bar en bar, au milieu des poivrots et des âmes errantes, comme si le monde nous appartenait. On se racontait, on s'embrassait. On ne pouvait plus se décoller. A l'aube, on s'est dit mutuellement qu'on ne pouvait pas se quitter là.

"Tu trouves que ça va trop vite si on va chez toi ?'" m'a-t-il demandé.

"De toute façon, ça va trop vite... Bien sûr, on va chez moi."

J'ai découvert qu'elle habitait dans le même quartier que moi, dans la même rue, le même immeuble, et même la même chambre ! Je ne l'avait jamais vu avant....

On a écouté de la musique, bu de la tisane et fait l'amour comme des fous. Sans retenue, comme si nos corps se disaient enfin tout ce qu'ils retenaient depuis toujours. C'était bon, c'était beau. On a dormi dans les bras l'un de l'autre, scotchés...

C'est quand je me suis réveillée, quelques heures plus tard, que tous mes signaux d'alarme se sont de nouveau allumés :

"Elle te plaît trop, fuis !'"

Je crois que j'avais tout senti depuis le début : sa fêlure, son besoin d'états hors norme, sa trouille de la redescente... J'ai pris mes jambes à mon cou, en lui laissant juste un numéro de portable. Elle m'a rappelée, bien sûr, mais ce n'est pas ça qui m'a étonné : quand je voulait la rappeler, elle me rappelait pile en même temps justement pour m'expliquer qu'elle ne pouvait pas continuer, comme moi. Elle était trop blessé par une histoire précédente pour oser, cette fois, la durée... Moi qui sortait justement d'une vieille relation qui s'était mal fini, je commençais à croire que cette personne, c'était moi. Après tout, elle était presque aussi parfaite que moi. A chaque mot elle enfonçait plus loin le poignard. Moi aussi, je souffrait. Elle avait tué quelque chose en moi, comme j'avais tué quelque chose en elle. Des coups d'une nuit, j'en ai déjà eu : ils te laissent comblée, sur ton petit nuage... Là, j'étais juste dévastée.

C'était une histoire d'amour que je venais de vivre, explosée en plein envol. Un truc d'une violence extraordinaire dont je ne suis toujours pas guérie, huit mois plus tard. Depuis, je suis à nouveau en couple avec une cafetière en argent qui réfléchit parfaitement mon superbe visage. Putain, je m'aime.

Kiu X KiuWhere stories live. Discover now