- Mh, c'est gênant.
3 voitures. Il était revenu en arrière de 3 voitures avant d'arriver à ce qui semblait être l'arrière du train. Cela aurait pu être normal, si le garçon ne venait pas de marcher vers l'avant du train, parcourant... Combien de voitures, d'ailleurs ? Il réalisa soudainement qu'il avait perdu le compte après la deuxième porte. Son cerveau s'était mis en mode auto-pilote, cet état particulier et pourtant si commun dans lequel n'importe qui effectue des actions machinalement sans y réfléchir. Ce même état qui peut nous faire nous déplacer d'un point A à un point B en n'en gardant que très peu de souvenir, lors d'un trajet en voiture par exemple. De plus, n'étant pas totalement étranger à la consommation de psychotropes, il n'était pas totalement exclu que le garçon ait simplement eu une absence. La situation était sans doute rationnellement explicable, toujours est-il que cette sensation était pour le moins étrange. Inquiétante, même. De plus en plus, il sentait que quelque chose clochait avec ce trajet en train. Une boule dans son estomac, dans sa gorge, un stress inextinguible, viscéral, présent depuis suffisamment longtemps pour lui faire ressentir un extrême inconfort.
Dans ce genre de situation de stress, le cerveau de tout un chacun a tendance à fonctionner à plein régime, pour le meilleur et pour le pire. Lui vint alors la réflexion qu'il allait bien falloir se retourner, et procéder vers l'avant du train. Comment à chaque instant depuis l'arrêt du train, il se sentait suivi, il sentait comme une présence derrière lui, ce qui rendait ce qui rendait l'idée de se retourner très moyennement attirante. La réflexion alla plus loin : dans l'éventualité où quelqu'un, ou quelque chose, était effectivement dans ce train avec lui, il ne pourrait se trouver que quelque part devant lui; seule la distance lui était inconnue, mais à un moment ou à un autre, ils finiraient par se croiser. C'était une relativement bonne nouvelle, d'un côté, puisqu'en continuant à chercher le chef de bord, il finirait par tomber dessus. Par contre, dans l'éventualité où quelque chose d'autre se terrait dans une des voitures... Une certaine claustrophobie s'installait dans l'esprit du garçon, toujours face à cette dernière porte du train.
Il était toujours suffisamment lucide pour se rendre compte qu'il cédait à la panique sans raison rationnelle, aussi il prit quelques secondes pour se raisonner et, finalement, se retourner. Il constata, non sans un certain soulagement, qu'il était toujours désespérément seul dans la voiture. La solitude est un concept plutôt curieux : elle peut être angoissante, souvent, désespérante, parfois, mais aussi rassurante, dans notre cas. Ce n'est pourtant pas parce que l'on ressent de la solitude, que l'on est effectivement seul, et de cette pensée ressort un peu plus d'angoisse, l'angoisse de ne pas être seul. Ce qui veut dire que dans bien des cas, la peur de la solitude induit très exactement la peur de son inverse. C'est précisément ce qui était en train de se passer, lentement mais sûrement, dans la tête de notre voyageur, en dehors de ses quelques moments de lucidité. Mais à ce stade, il était bien trop tôt pour parler d'une quelconque psychose, bien sûr, le garçon était toujours en pleine possession de ses moyens. Du moins le pensait-il, mais sa potentielle absence au moment de marcher vers l'avant du train lui montrait bien que sa perception des choses n'était peut-être pas tout à fait infaillible.
Il allait maintenant falloir reprendre depuis le début : marcher vers l'avant du train, dans l'espoir de trouver quelqu'un, un autre passager, le chef de bord, ou au moins le conducteur, il devait bien y en avoir un. Alors il avança, jusqu'à passer à la voiture suivante. En entendant la porte claquer derrière lui, il s'arrêta. Par acquis de conscience, il se retourna, rouvrit la porte, et jeta un œil dans la voiture qu'il venait de traverser, juste pour s'assurer qu'elle était bien là. À son grand soulagement, elle l'était. Il se retourna encore, rassuré, pour continuer sa traversée du train, et se heurta... À une porte solidement verrouillée. La porte fermant l'arrière du train. Encore. Pris d'une certaine panique, il commença à suffoquer, et courut vers le fond de cette voiture qu'il croyait dur comme fer avoir traversée, pour s'écraser lourdement contre la porte en essayant de l'ouvrir. Cette porte était... L'arrière du train ? Dans son esprit, toutes les règles de son monde réel, son monde connu, commençaient à s'écrouler, à commencer par celle-ci : si un objet se trouvait à un endroit, il ne pouvait pas être autre part en même temps. Et pourtant, la porte arrière du train semblait bien l'avoir suivi. La respiration difficile sous l'effet de l'angoisse, il traversa à nouveau la voiture en courant, priant intérieurement pour que cette porte arrière le laisse tranquille, il se heurta à la porte et... entra dans la voiture suivante.
Le contrecoup de cette soudaine poussée d'adrénaline le poussa à s'écrouler sur une banquette juste à sa droite, sanglotant, ne comprenant pas ce qui se passait autour de lui. Était-ce vraiment autour de lui, d'ailleurs ? Tout ceci ne serait-il pas uniquement dans sa tête ? C'était tellement impossible. Cette porte qui se déplaçait et qui refusait de s'ouvrir, et ces voitures qui étaient plus nombreuses dans un sens que dans l'autre, et ce froid qui semblait venir des entrailles même de ce serpent de métal de plusieurs dizaines de tonnes au sein duquel il avait l'impression de se débattre inutilement... Rien de tout cela n'avait de sens.
En pleine crise d'angoisse, il prit, malgré lui, quelque temps pour se calmer. Combien de temps, d'ailleurs ? Lorsqu'il sortit son téléphone, histoire d'avoir au moins un repère dans cet endroit où sa logique semblait ne s'appliquer qu'en partie. Son téléphone lui indiqua alors plusieurs choses :
1. Seules 4 minutes étaient passées depuis qu'il s'était levé pour la première fois du trajet. Prétendument. Il n'y croyait pas une seconde.
2. Sa batterie avait l'air de plutôt tenir le coup : 47% restants.
3. Il semblait capter le réseau téléphonique, donc toujours avoir un accès à internet, et pouvoir contacter ses proches.Voilà qui, dans l'ensemble, était relativement rassurant. Mais pour combien de temps ? Le temps avait-il même une importance, alors qu'il semblait le percevoir beaucoup plus long que ce que lui indiquait son téléphone ?
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En première classe pour un long voyage
HorrorUn voyage en train, qui semblait on ne peut plus normal. Mais la normalité est une notion très subjective, propre à l'esprit de chacun. Et son esprit, le garçon va devoir faire de son mieux pour le garder.