Chapitre 21

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L'effervescence créée par la petite mise en scène de Madison retombe aussi vite qu'elle s'était installée. Sans avoir marqué les esprits, vraisemblablement, puisque les élèves présents se dispersent et reprennent leurs activités comme si de rien n'était. Certains me jettent des regards en coin, alors qu'ils passent à côté de moi. Et dans leurs yeux, toutes sortes d'émotions. De la surprise, de la curiosité, de l'admiration pour certains. 

Mais je n'ai que faire de leur approbation. 

Ma victoire ne dépendait pas d'eux. Bien sûr, le fait de savoir que j'ai leur soutien me réconforte, mais ce qui m'importait vraiment, c'était de clouer le bec à Madison. Et, d'après le sourire qui illumine le visage de mon meilleur ami, je crois que j'ai réussi. Parce que celui qui étire ses lèvres en ce moment est si éblouissant qu'il parviendrait presque à effacer tout le reste. Madison. Shawn. Cooper. Malheureusement, dès que je détourne la tête et que mon regard rencontre celui du beau brun qui n'a pas bougé depuis tout à l'heure, tout me revient en pleine tête.

Les doutes, son attitude tout à l'heure, son silence. 

Comment je dois l'interpréter ? Est-ce qu'il regrette notre baiser ? Es-ce que c'était mauvais ? Peut-être, c'était la première fois que j'embrassais un garçon. Ou peut-être qu'au contraire, il a aimé, mais il n'assume pas de se montrer en ma compagnie? Je n'en sais rien et si j'aimerais vraiment comprendre, je ne sais pas si je me sens le courage de mener cette bataille maintenant, alors que mes genoux flagellent encore de m'être donnée en spectacle devant tout le monde.

Luc me rejoint finalement et rompt le contact visuel étrange qui s'était établit entre Shawn et moi. Une sorte d'échange silencieux par le biais duquel nous communiquions sans que je ne comprenne vraiment ce qui se dit. Tout ce que je sais, c'est qu'au moment où Luc arrive à mon niveau et qu'il me prend dans ses bras, Shawn n'a pas bougé. Il me fixe toujours avec la même intensité, les sourcils froncés. Je crois voir ses yeux s'arrondir légèrement quand mon meilleur ami me hisse sur son épaule mais Luc m'entraîne dans le couloir, m'empêchant ainsi d'en avoir la confirmation.

La position dans laquelle je me trouve ne me permet pas de voir où il m'emmène, ni même les réactions des élèves qui nous voient passer mais je devine à la sensation de ses muscles qui bougent sous ma hanche, qu'il vérifie de part et d'autre du couloir que nous sommes seuls. Il s'immobilise un instant avant de pousser la porte d'une salle de classe vide et, d'enfin, me poser au sol. Il s'assure que personne ne nous a vu entrer, et referme la porte derrière lui. Nous passons tout notre temps ensemble, mais avec les rumeurs qui circulent en ce moment à mon sujet, je ne peux que lui être reconnaissante de prendre ses précautions. Pour le mode de transport en revanche, j'ai quelques réclamations à faire.

Je crois qu'il n'imagine pas à quel point c'est inconfortable.

Alors que je frotte ma hanche endolorie, il revient vers moi, tout sourire et place ses mains sur ses tempes en me regardant comme si je venais de trouver un remède contre le cancer :

- Pouah... Jamie ! Tu... Tu m'as soufflé ! fait-il en mimant une explosion de sa boîte crânienne.

Puis il se met à me rejouer la scène, en exagérant les expressions et les réactions de Madison. C'est hilarant. Pourtant, je n'arrive pas à détourner mon esprit de Shawn et du regard qu'il a posé sur moi tout à l'heure. Perdue dans les limbes de mon esprit, je n'entend pas la question que Luc me pose, enfin, qu'il a dû me poser et à laquelle je n'ai pas répondu, à en juger par la manière dont il me fixe. Bras croisés, yeux levés au ciel, il place ses mains en porte-voix et se met à crier:

- La petite Jamie est attendue à l'accueil par son meilleur ami... Il aimerait avoir une conversation avec elle !

- Pardon, je, j'étais ailleurs. Tu disais ?

- Oh rien de bien important. Je disais que tu étais ma nouvelle héroïne et que j'allais te porter en triomphe tous les ans à cette même date.

Comme toujours, il me ramène à lui par le biais de la plaisanterie, j'ai beau être enlisée dans mes plus sombres pensées, une blague de Luc et j'oublie tout. Il sait comment me parler, et en bonne adolescente nombriliste, je ne résiste pas à la flatterie.

- Je vois. Très bonne initiative, mais s'il te plaît évite les autels commémoratifs, j'ai une sainte horreur de l'encens.

- J'avais plutôt dans l'idée de créer des t-shirts à ton effigie et de les distribuer à tous tes fans.

- Mes fans ? Tu vas un peu vite en besogne, je n'ai pas l'impression que mon petit tour ait vraiment marquer les esprits.

- Détrompe-toi, tu n'as pas tendu l'oreille comme je l'ai fait. Les gens ont aimé que quelqu'un remette Madison à sa place, ils n'ont simplement pas osé le montrer. Laisse-leur le temps, tu verra, bientôt ils vont se les arracher, mes t-shirts. Le message est passé, ne t'en fais pas.

Et là, ça fait clic. Dans mon esprit, les mots de Luc s'assemblent et prennent un sens nouveau. Oui, le message est passé, mais est-ce que c'est suffisamment clair?

- T'as un marqueur ?

Luc me regarde, hausse un sourcil et désigne du menton le tableau blanc derrière nous.

-Tu veux dire, un de ceux là ?

- Gna, gna, gna. Tu pouvais pas, simplement, me dire oui ?

Je me retourne, attrape un feutre noir et retire mon haut.

- Merde, mais qu'est-ce que tu fous ? couine-t-il en se tournant, pour ne pas me voir en soutien-gorge. 

- Oh, ça va. On dort ensemble depuis qu'on a 6 ans et tu m'as vue en maillot de bain un milliard de fois. Il n'y a rien là-dessous que tu n'aies déjà vu.

- Je n'ai aucun problème avec la nudité, j'aime juste être prévenu avant que les gens se foutent à poil devant moi, dit-il en se dirigeant vers la porte pour faire le guet.

Je me penche et griffonne sur le morceau de tissus posé à plat sur la table, en me félicitant d'avoir choisi de porter du blanc aujourd'hui. Dès que j'ai fini, je m'éloigne un peu pour admirer mon œuvre et ne peux m'empêcher de sourire en imaginant la tête de Madison quand elle découvrira ma tenue customisée.

Je pose une main sur l 'épaule de mon ami, pour lui signifier que je suis à nouveau décente, et attend de voir sa réaction, qui ne tarde pas à arriver. Il sourit en voyant l'inscription sur le devant « GO JESSY ! » et s'esclaffe lorsque je lui montre ce qui est inscrit au dos « My name is Jamie btw »

Il se prosterne à mes genoux et glousse :

- Cette fois, c'est sûr. Tout le monde saura qui tu es... Allez viens, Jaminy cricket, il est temps d'aller en cours.

Et en quelques mots, il vient de percer la petite bulle d'allégresse dans laquelle je me trouvais. Sans même le savoir.

Mon premier cours de la journée, c'est biologie.

Je le regarde, désespérée :

- On sèche ?

Il acquiesce en silence et me souffle en passant son bras autour de mes épaules « Une bataille à la fois ». 

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