Chapitre 22

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J'ai bien conscience que le fait de commencer à sécher les cours aussi tôt dans l'année scolaire ne va pas m'aider à décrocher une bourse. Mais mes résultats ont toujours été irréprochables et je n'ai, jusqu'alors, jamais manqué un seul jour de classe, même lors des périodes de grosses neiges.

Alors c'est sans crainte que j'envoie un texto à mon père pour l'avertir de ma décision :

Moi : [ Ne t'étonnes pas si tu reçois un appel de l'école. Je sèche la biologie. ]

PapaBear : [ Il y a des jours où je me dis que j'ai vraiment foiré ton éducation. Mais comme il n'est jamais trop tard pour t'inculquer une leçon, note ça. ON NE SE DÉNONCE JAMAIS AVANT DE SE FAIRE COINCER ! Mais maintenant que j'ai l'information, je suis obligé d'y donner suite. Tu as une bonne explication pour cette absence ?]

Moi : [ J'ai pas envie. ]

PapaBear : [ Pas pour moi, banane ! Pour l'administration ! ]

Moi : [ Oh, je vois. Règles douloureuses ? ]

PapaBear : [ ... D'accord. Je t'absous pour cette fois, mais n'en fais pas une habitude. ]

PapaBear : [ Et entre nous, il était temps que tu te mettes à désobéir. Tu me rendais la tâche trop facile. Et puis, j'avais un peu peur que tu passes à côté de ton adolescence. Mais me voilà rassuré. ]

PapaBear : [ Oh, une dernière chose. Je sais bien que je suis loin d'être un expert dans le domaine scientifique, mais ne te rend pas malade pour un simple « devoir de biologie » , ça arrive à tout le monde d'échouer. Sans compter que certains « devoir de biologie » ne valent pas la peine qu'on s'inflige pour eux, surtout au lycée. Enfin, à ce qu'on m'a dit. Bonne journée, sale jeune ! ]

Mon père, toujours plus loquace quand il peut se cacher derrière le clavier de son antiquité à touche, n'arrive à me parler de ce qui le préoccupe que par SMS. A croire que l'adolescente bourrée d'hormone que je suis, lui fait peur. Ce qui arrange bien mes affaires en règle générale puisque, comme lui, je me confie plus facilement en dehors des face à face, mais qui, aujourd'hui, ajoute encore à mon trouble. Puisqu'en quelques messages, il parvient à me faire sourire et pleurer à la fois.

Du grand Easton Rivers.

Si trouver la faille des gens et la mettre à nue rapportait de l'argent, mon père serait riche à l'heure qu'il est. Parce que, encore une fois, il a visé juste. Il a trouvé la plaie béante que je m'efforçais d'enfouir, l'a mise à l'air et a balancé du gros sel dessus. Histoire d'accroître la douleur. Et il a réussit, parce que, même si je ne lui avouerai jamais, je partage ses doutes.

Moi aussi, j'ai peur de passer à côté de mon adolescence.

Moi aussi, je sais que Shawn ne mérite peut-être pas l'attention que je lui porte.

Mais je ne peux pas faire autrement. Malgré mes récents coups d'éclat, je ne suis pas de ces filles volubiles et extraverties qui débordent de confiance en elles. J'ai toujours trouvé plus facile de ne rien faire et de laisser la situation en l'état plutôt que de réellement agir pour changer les choses. Peut-être que c'était l'appréhension qui me poussait à rester dans l'immobilisme, la peur d'échouer en essayant « pour de vrai » ou plus simplement le confort de ma petite tranquillité. Alors certes, tout ce qui se passe en ce moment dans ma vie est exaltant mais aussi très déstabilisant pour une fille comme moi, qui a passé tout ou partie de son adolescence dans l'ombre. Les regards que je sens peser sur moi, alors que je traverse le couloir au bras de Luc, me perturbent un peu et viennent fissurer ma carapace de fausse assurance. A chaque pas, le doute s'insinue en moi.

Est-ce qu'ils admirent mon audace ? Ou se moquent-ils de moi ?

Je n'en sais rien, et c'est cette incertitude qui me rend hésitante. Pourtant, je ne devrais pas accorder d'importance à leur opinion, à eux qui m'ont ignorée toutes ces années . D'autant plus que je l'ai cherché, cette attention qui me déstabilise à présent, mais être le centre d'intérêt, c'est à des milliers de kilomètres de ma zone de confort et je crois qu'en mettant en marche ma petite vendetta, je ne m'attendais pas à recevoir cet accueil.

D'un côté, je regrette. Mais de l'autre, je ne changerais les derniers jours pour rien au monde. J'ai repoussé mes limites et vécu plus d'expériences depuis la rentrée que ces deux dernières années, et je me dis que je ne peux pas m'arrêter en si bon chemin. J'ai enfin l'impression d'exister. Alors, même si ça me fait peur, je ne compte plus reculer.

Mais ma détermination ne m'empêche pas de douter de tout ce qui est en train de m'arriver. Et surtout de Shawn. Je n'arrête pas de me demander ce qu'il pense réellement de moi. Est-ce que je lui plais vraiment ? Ou cherche-t-il seulement à s'amuser ?

Je crois que si je devais choisir une seule question à laquelle on me répondrait, ce serait celle-ci. Parce que - même je doute d'être la seule - j'ai du mal à croire qu'un garçon comme lui puisse s'intéresser à une fille comme moi. Il est si beau, si charismatique et moi je suis.... Juste moi.

- Eum... Jamie ?

Je lève les yeux sur Marisa Libstein, la rédactrice du journal du lycée, et ancienne tête de turc de Madison. La petite brune - qui était autrefois amie avec la cheerleader – a perdu son PASS VIP quand la puberté l'a rattrapée et qu'elle a pris des formes. Trop de forme, aux yeux de Madison. En un été, elle a pris une dizaine de kilos et s'est attiré les foudres de la capitaine des pompom-girl, la faisant passer du statut de fille populaire à persona non gratta, en moins de deux mois. Après un an de harcèlement, Marisa a passé le cap, elle s'est reconstruit une vie loin des paillettes et évolue aujourd'hui hors du radar de Madison. J'envie sa force de caractère et sa résilience. Jamais elle n'a montré le moindre signe de faiblesse, de doute ou d'animosité envers ceux qui lui ont tourné le dos après qu'elle ait été prise pour cible. Même maintenant, alors qu'elle plonge ses grands yeux noisettes dans les miens, je n'y vois que de la bienveillance :

- Excuse-moi de te déranger... je...

Elle inspire profondément, les paupières closes, et débite d'un coup.

- Je voulais te féliciter pour ta réaction tout à l'heure. Je veux dire quand la Queen Bitch, a voulu te ridiculiser.

Pour la première fois, je l'aperçois. La lueur qui brille dans mon regard parfois, quand je pense à ma vengeance, je la vois dans les yeux de Marisa. Le dégoût. La colère. La détermination.

- Merci, mais ce n'était pas gr...

- Non, ne dis pas que c'était rien. Pour moi, c'était beaucoup. C'était la première fois que quelqu'un tenait tête à Madison et tu ne peux pas imaginer à quel point ça m'a fait du bien. C'est comme si tu disais tout haut, tout ce que je pensais tout bas, tous ces mois où elle m'a ignorée, malmenée, insultée.

Sur ces derniers mots, sa voix se brise et je devine que si elle ferme les yeux cette fois, c'est pour contenir le flot de larme qui menace de la submerger. Mais elle ne s'interrompt pas pour autant.

- Ce matin, la manière que tu as eu de lui répondre... Tu t'es élevée contre elle et je voulais que tu saches que, même si je n'ai rien dit pour te défendre, je te soutiens.

- Merci Marisa, c'est vraim...

- Non. Merci à toi.

Sans me laisser le temps d'ajouter quoi que ce soit, elle me serre dans ses bras et s'enfuit.

Je reste un instant interdite, envahie d'un sentiment étrange, je contemple la foule d'étudiants se presser pour retrouver leur salle de classe. Perdue au milieu de la cohue, je me sens vide et pourtant comblée à la fois. Tous ces êtres qui s'agitent autour de moi, toutes ces victimes de Madison qui n'ont pas eu la chance de pouvoir se défendre ou qui ont eu trop peur pour le faire. C'est à eux que je dois penser. Parce qu'au fond, je ne suis pas seule dans cette aventure. Je ne peux pas les laisser tomber.

Et c'est forte de cette nouvelle résolution que j'avance fièrement vers la sortie.

Parce que, si je ne le fais pas pour moi, je dois le faire pour eux.

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