La Peste

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Je pêche dans le fleuve avec Mère. le soleil vas bientôt se coucher et les poissons, sonnés, font des proies faciles. le ciel est aussi rouge que mère : la lumière brille sur sa pleau comme si on l'avait enduite de sang.

Alors , un gros bonhomme tombe d'une touffe de roseaux dans l'eau en lachant un long tuyau à l'embout en verre. Je vois qu'il n'est pas aussi replet que je le croyais, mais il porte une tenue epaisse, ainsi qu'un bocal transparent sur la tête.

Mère le regarde se débattre dans le fleuve tel un poisson. "Allons-y, Marne."

Je reste là. Au bout d'une minute, il bouge moins. Il tente d'atteindre les tuyaux dans son dos.

"Il n'arrive pas a respirer.

- Tu ne peut pas l'aider, répond mère. L'air, l'eau, tout ça c'est un poison pour lui et les siens."

Je m'approche, m'accroupis et regarde au travers du verrre qui englobe son visage nu. Pas de pleau. Il vient du Dôme.

La peur déforme ses traits hideux.

Je tends la main et je démêle les tuyaux dans son dos.


Je regrette d'avoir perdu ma camera. les mots ne donnent aucune idée de la facon dont la lueur du feu dans sur leurs corps scintillants. leurs difformités, leur défigurations, leur sous-alimentation - tout cela semble disparaitre, anobli par les ombres vacillantes qui me serrent le cœur.

La jeune fille qui m'a sauvé m'offre un bol de nourriture, du poisson, je crois. Je l'accepte avec reconnaissance.

Je sors mon kit de purification et je saupoudre le contenu de nanos. Celles-ci doivent s'autodetruire une fois leur tache accompli. Rien avoir avec ces horreurs incontrolables qui ont rendu le monde invivables...

De peur de la vexer, j'explique : "Des épices."

La regarder, c'est ce voir dans un miroir humanoïde. Au lieu de son visage, je voit le relflet du mien, distordu. Il est difficile de défricher une expression sous les marques et les stries de cette surface lisse mais elle me parait perplexe.

"Merpanz guena mouhitul ouzan boizone."

Je ne lui tiens pas rigueur de la degradation des phonèmes en sifflets et en onomatopées : une peuplade malade obligée de vivre à la dure ne risque guere de poétiser ou de philosopher. Elle a dit : Mère pense que la nourriture vous empoisonne.

"Les épices la rendent inoffensive"

Quand j'insère la pâtée dans le tuyau d'alimentation sur le coté de mon casque, le miroir se trouble telle la surface d'une mare parcourue de ridules et mon reflet s'y brise en taches de couleurs.


Les autres n'ont aucune confiance en l'homme du Dôme qui, vêtu de sa combinaison, rôde dans le village.

"Il dit que les habitants du Dôme ont peur de nous parce qu'ils ne nous comprennent pas et qu'il veut changer ça."

Mère rit, un bruit d'eau sussurant sur des galets. Sa pleau change texture et brise en rayons aigus la lumière qui s'y reflechit.

Mes jeux la fascinent : je trace des lignes sur mon ventre, ma cuisse, mes seins, à l'aide d'un bâton au passage duquel ma pleau se couvre de ridules et de crètes en réponses. Il note par ecrit tout ce que nous disons.

Il me demande si je connais l'identité de mon père. Le Dôme doit être un drôle d'endroit.

"Non à chaque festival trimestriel, hommes et femmes se tortillent ensemble et la pleau dirige la semence."

Il me dit qu'il est navré.

"Navré pour quoi ?"

J'ai du mal à savoir ce qu'il pense, car son visage dénudé s'exprime moins bien que la pleau.

"Pour tout ça." Un grand geste du bras.


Durant la peste il y a cinquante ans, pris de folie, nanos et bioamélios ont dévoré la peau, la surface de l'œsophage, les membranes tapissant les moindres orifices de chacun.

Dedans comme dehors, la chair disparue a  été remplacé par une sorte de lichen composé de minuscules robots et colonies bactériennes.

Les riches - mes ancêtres - se sont armés et retranchés sous des dômes qu'ils avaient batis pour regarder les autres victimes mourir a l'extérieur.

Mais certains des malades ont survécu. Le parasite vivant les a altérés au point de leur permettre de manger des fruits mutés, boire l'eau empoisonnée et respirer sous l'air toxique.

Sous le Dôme, on blague à propos des pestiférés. Il arrive aux plus audacieux d'entre nous de commercer avec eux, mais tout le monde semble se satisfaire de considère qu'ils ont perdu leur humanité.

Certains prétendent que les pestiférés se réjouissent de leur sort. Il s'agit là d'un préjugé ainsi que d'une tentative de fuir nos responsabilités. Seul le hasard nous a fait naitre ainsi, moi sous le Dôme et elle dehors. Ce n'est pas la faute de cette fille si elle tiraille sa peau déformée au lieu de peser des concepts abstraits, si son parler préfère le sifflement et le grognement à l'énonciation et la rhétorique, si elle ignore l'amour familial au profit d'un besoin d'affection instinctif, presque animal.

Nous autres, les gens du Dôme, nous devons la sauver.


"Vous voulez me prendre ma pleau ?

- Oui, afin de trouver un remède pour vous, votre mère et tous les pestiférés."

Je le connais dorénavant assez bien pour savoir qu'il est sincère. Tant pis si la pleau fait partie de moi au même titre que mes oreilles : il se figure que m'écorcher, me mutiler, me dénuder constituerait une amélioration.

"Nous avons le devoir de vous aider."

Il tient mon bonheur pour de la tristesse, ma reserve pour de la dépression, mes désirs pour des fantasmes. Bizarre, qu'un homme ,ne voie que ce qu'il souhaite voir. Il me veut pareille à lui parce qu'il se croit supérieur.

Avant qu'il ait le temps de réagir, je ramasse une pierre et je fracasse le bocal en verre autour de sa tête. Alors qu'il se met à hurler, j'effleure son visage et je sens la pleau de mes mains se tortiller pour le recouvrir.

Mère a raison. Il n'est pas venu apprendre, mais je dois pourtant l'instruire.


Ken Liu

La PesteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant