Chapitre 23

48 10 0
                                    

La conversation que je viens d'avoir avec Marisa a eu le mérite de me redonner le sourire et de m'aider à ouvrir les yeux. Je ne suis pas la seule à vouloir me venger, ni à vouloir retrouver la place qu'on m'a empêché de prendre dans MON lycée. Et si mon pied de nez à Madison aura permis de mettre du baume au coeur de ses victimes - passées et présentes – je me dois de prendre ce projet au sérieux.

D'autant que les souffres douleur de la petite blonde ne manquent pas. Ils sont tout autour de moi, en ce moment même, alors que je me dirige vers la sortie. Aussi, j'examine les visages qui composent cette foule pressée d'un œil neuf.

Et si ce Sophomore qui ne me quitte pas des yeux n'était pas en train de me juger, mais qu'il ressentait la même chose que Marisa et qu'il n'osait tout simplement pas me le dire ? Combien sont-ils dans son cas ? Une poignée ? Des dizaines ? Une centaine ? Combien de personnes a-t-elle malmené ? Et combien n'ont jamais eu le courage d'élever la voix ?

Je ne sais pas si le fait d'oser me dresser face à elle fait de moi leur porte-parole, mais si ma petite révolte contre le système parvient à redonner courage ne serait-ce qu'à une personne, alors mon combat n'aura pas été vain.

- Ah, la revoilà.

La voix de Luc me tire de mes pensées et m'oblige à reporter mon attention sur mon meilleur ami.

- Qui ça ? Madison ? Elle est là ? dis-je, une fois mes quelques neurones reconnectés.

- Non. Cruela.

- Oh la ferme, Jasper. Conduis moi plutôt au pub, au lieu de dire des bêtises.

- Au pub ? Dois-je te rappeler que tu n'as pas l'âge de boire de l'alcool ? Ou le fait d'avoir un père patron de boîte de nuit donne des laisser-passer dont j'ignorais l'existence ?

- Oui, bon, ça va. Au Mildred's Coffee, alors.

- Voilà, le salon de thé tenu par une vieille dame, ça c'est un lieu de rébellion !

- Oh crotte ! Puisque rien ne te convient, dis-moi où on va ?

- Chez moi ?

Surprise, je hausse les sourcils.

Luc. Ne. M'invite. Jamais. Chez. Lui.

A moins que ?

- Mes parents sont absents, il confirme mes pensées, à demi-voix.

Sans dire un mot, je le suis alors qu'il marche jusqu'à sa voiture, l'air fermé.

Une fois tous les mois, ses parents se rendent au Texas pour visiter de la famille éloignée et régler quelques détails administratifs dans une de leur succursale. Les Peters sont à la tête d'une des plus grande concession automobile de la région, et que ce soit dans les affaires ou dans leur vie privée, ils ne s'embarrassent pas de leur progéniture. Puisqu'ils sont à nouveau partis sans prendre la peine d'avertir Luc à l'avance.

Comme toujours, il n'aura eu droit qu'à un texto une fois la frontière de l'état franchie. Le strict minimum... A quoi bon gaspiller de l'énergie pour envoyer un message à leur fils, le genre qui comporterait sujet, verbe, complément. Non « Partis au Texas. Rentrons vendredi prochain. Pense à nourrir Pepper. » c'est largement suffisant.

Et comme à chaque fois qu'ils s'absentent, mon meilleur ami et moi changeons de lieu de résidence pour occuper sa maison, bien plus grande et plus luxueuse que la mienne. Mais surtout, plus chaleureuse qu'à l'accoutumée une fois débarrassée de ses occupants. Si la perspective de passer quelques jours chez mon ami m'enchante, le fait de le voir se morfondre dans son coin parce qu'ils ont préférés partir sans lui, ça, ça me hérisse le poil.

A tel point que j'ai bien envie d'ajouter une ligne à ma liste, une qui concernerait le couple Peters. Il faut que je réfléchisse à la question, mais en attendant, je dois distraire Luc, pour l'empêcher de glisser sur la pente savonneuse que son esprit tend à emprunter quand il pense à sa famille.

Vite Jamie. Trouve n'importe quoi.

C'est finalement une affiche annonçant le début des auditions de l'équipe de cheerleader qui me met sur la voie.

- Saperlipopette ! Madison ! dis-je en arrêtant mon ami d'une main en travers de son torse.

- C'est plus grave que je ne le pensais, lâche-t-il avant de se tourner lentement vers moi. Répète après moi, LUC. Pas Madison. LUC.

- T'es nul. C'est bien de Madison dont je parlais.

- Oui, ben quoi ?

- Elle va croire que je ne suis pas venue en cours parce que je la craignais.

- Ah oui, c'est une possibilité.

C'est bien ce que je pensais. Mais je ne peux pas la laisser croire, ni même avouer publiquement la véritable raison de mon absence. Admettre que je me suis amourachée d'un garçon que je connais à peine, que je fuis à présent parce qu'il ne partage peut-être pas mes sentiments, c'est accepter de me ridiculiser sur la place publique.

Non, il va falloir que je trouve autre chose.

Assise sur le canapé d'angle des Peters, je rumine, téléphone en main, j'ignore les vibrations pour me concentrer sur mon objectif. Faire comprendre que je n'ai pas peur. Que je ne crains rien, ni personne. Et surtout pas une petite blonde idiote.

- Ohoh... Trop tard, ma vieille. Madison a sauté sur l'occasion pour te faire passer pour une trouillarde.

- Quoi ? Comment ?

Allongé à l'autre bout du canapé, Luc me lance son téléphone, pour que je puisse voir ce dont il me parle. Portable qui atterrit, bien entendu, sur mon estomac. Un couinement étouffé m'échappe alors que je le réceptionne. L'écran s'allume sur le compte instagram de la cheerleader, dont la première photo n'est autre que celle de la place que j'occupe en biologie, vide. Suivie par une seconde photo, enfin, un montage d'une annonce réservée habituellement aux chiens égarés, dans laquelle elle a glissé mon portrait. Ses deux publications portant le #LostJessy, cumulent à elles deux près de 600 likes.

- La sale peste ! m'offusqué-je, en me redressant sur un coude.

- A quoi tu t'attendais ? Désolé, mais sur ce coup, elle a gagné.

- Non, non. Pas encore, dis-je en l'attirant près de moi.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je vais lui répondre...

J'attrape un stylo et une feuille abandonnée sur la table basse, y griffone quelques mots puis tire Luc tout contre moi, avant de lui coller entre les mains ma pancarte improvisée. Depuis mon téléphone, je prend un cliché de nous deux, en veillant de couper le visage de mon meilleur ami. Le message vient de moi, et je veux être la seule concernée par les retombées. Satisfaite du résultat, j'ajoute un filtre à l'image où on me voit tirer la langue en brandissant mon majeur à l'objectif. Mon t-shirt « Go Jessy » en premier plan, et la feuille que tient Luc « F*ck Madison » au second. J'y ajoute quelques hashtags #LostJessy #Lostandfound #f_ckoff #NoTimeForLosers, et appuie sur envoyer, alors qu'une nouvelle notification Snapchat apparaît à mon écran.

Un nouveau message de Shawn.

Qui s'ajoute au sept précédents...

F*ck it ListOù les histoires vivent. Découvrez maintenant