Chapitre 1 : Souffle haletant

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Elle court, court à en perdre haleine et se retourne soudainement en arrivant dans un cul-de-sac sombre et étroit. Un homme est là, auprès d'elle. Il est grand, imposant, effrayant. Elle hurle, mais il a déjà sorti ses lames. Le cri perçant qu'elle lance par désespoir s'achève dans un gargouillement. L'épuisement se peint sur son visage innocent quelques secondes avant sa fin. Elle est déjà morte.

Le cadavre est encore chaud. Le visage de la jeune femme est tourné vers la lumière de la rue proche, si proche, alors qu'un gendarme lui ferme doucement les yeux. On emporte le corps sans vie. L'odeur de la mort emplie la ruelle et je me secoue pour reprendre mes esprits.

Quelques jours plus tard, je peux observer et entendre des sanglots, quelques bouquets de fleurs et des visages effrayés dans cette ruelle. « Toujours rien, c'est incompréhensible. » , chuchotent les policiers de la brigade criminelle entre eux. Le meurtrier ricane doucement, non loin de là où il a pris une vie. Il est si proche que l'instinct de ses proies en devenir les fait frissonner. Elles ne savent pas qu'elles sont les prochaines, mais elles ont déjà peur. Et elles ont raison d'être terrifiée, ces pauvres petites choses.

Un autre jour où le soleil arrive sur mon lit, douillet à souhait. Je m'étire en me demandant qui sera tué aujourd'hui. J'avance au bord du vide, je sais que si je fais un autre pas, c'est la mort. Quelle adrénaline ! J'adore ça. Une odeur envahit soudain mes narines : celle de l'effort, de l'épuisement physique et moral ; la marque de ses proies à lui. Je m'approche de la scène, discrète comme une ombre. Quelques pâtés de maisons plus loin, j'entrevois la situation. Cette fois, le futur mort est seul et jeune. Je me demande ce qui est préférable : mourir seul, ou voir ses proches mourir ? Je sais que l'homme les préfère jeunes. Un peu comme ce garçon perdu dans cette ruelle sombre, où il se sait coincé, mais ne comprend pas comment il a pu atterrir là. N'avait-il pas pris le raccourci le menant jusqu'à chez lui ? Comment a-t-il pu se perdre à ce point ? Malheureusement pour lui, personne d'autre que le Chasseur connaît aussi bien les chemins cachés de cette ville. Sauf moi.

Étrange... Le garçon ne cherche plus frénétiquement une sortie et un air résolu s'affiche sur son visage. Il se retourne vers le monstre qui n'est pas loin derrière lui. Sera-t-il le premier à voir le visage du Chasseur ? Il mourra quand même, me dis-je cyniquement, alors quelle importance ? Je m'installe confortablement : peut-être que pour une fois, le spectacle durera un peu ?

Mon regard s'accroche aux mèches brunes du garçon. Il a l'air fort. Rapide. Mais assez ? Sûrement pas. Le Chasseur approche de sa victime. Il ne lui reste qu'un pas de plus et il entrera dans un des cercles de lumière qui arrivent à passer entre les toits délabrés. Les muscles de la proie se tendent. Aucun doute, il sait se battre, et bien d'après sa position de jambe. Un mouvement furtif sur la gauche annonce l'arrivée du Chasseur dans toute sa splendeur.

Le colosse de deux mètres se rapproche en faisant cliqueter ses griffes. Après quelques recherches, j'ai appris que ses griffes étaient en réalité des pièces de métal longues de vingt-cinq centimètres qu'il s'est fait greffer avant que tout cela ne commence. Il ne possède pas un gramme de graisse, et ses muscles se dessinent à travers son t-shirt sombre. Son regard froid accompagne un sourire malsain et quelques dents cassées. L'ensemble forme un visage effrayant à souhait. Une microseconde suffit pour que ses quadriceps se contractent, et je sais qu'il va s'élancer. Sa masse se met en mouvement et je crois déjà entendre le bruit du sang qui éclabousse les murs sales, mais rien ne se produit comme je m'y attendais. J'observe attentivement le Chasseur qui lui aussi a l'air surpris. Sa proie est maintenant derrière lui et en un seul morceau. C'est impressionnant, mais je sens aussi que cela agace le monstre de deux mètres. Car on ne peut pas vraiment appeler cet être un humain, ni même un animal. Le garçon regarde derrière lui, mais il ne sait pas vers où se diriger sans se retrouver à nouveau pris au piège. Il reste donc sur place, ce qui est sans doute la meilleure décision à prendre. Peut-être que son esquive a réussi la première fois, mais cela m'étonnerait qu'il puisse recommencer cet exploit.

Les attaques s'enchaînent, mais aucune égratignure ne vient décorer la peau pâle de la future victime. Apparemment, même les griffes du Chasseur ne suffisent pas pour cette proie-là. Un détail vient me frapper : le Chasseur va utiliser sa technique ! Je le vois à la crispation de sa lèvre inférieure. Combien de fois ai-je vu cette scène de mort ? Je reconnais que celui-ci a tenu plus longtemps ... Quel dommage de perdre un garçon aussi courageux. Mais il ne pourra pas résister au Chasseur lorsque ses lames s'étireront d'une dizaine de centimètres. Je ne peux rien y faire... Quoi que ? Le Chasseur m'a toujours évité. Il sait qui je suis. Peut-être pourrai-je sauver cet humain... Et m'en sortir.

Une nouvelle attaque va avoir lieu. Je n'ai plus le temps de réfléchir. Alors que le Chasseur s'avance d'un pas, je m'élance et atterris sur son visage que je lacère. Je bondis une nouvelle fois avant qu'il ne m'attrape et cours jusqu'au jeune homme stupéfait. Il m'observe, interdit. Je lui fais un bref signe de la tête et cours immédiatement vers une ruelle sur notre droite. Le hurlement de rage du monstre est effrayant, ce qui incite le jeune homme à me suivre. Nous continuions à tourner dans les ruelles plus sombres les unes que les autres. Après quelques virages de plus, le cri du Chasseur ne nous parvient plus qu'en sourdine, malgré le son strident et rempli d'une colère effroyable. Un frisson me parcourt. Je vais avoir des ennuis s'il me met la main dessus. Mais je préfère ne pas y penser pour le moment.

Tout à coup, nous débouchons dans l'avenue de Chavadre. Le soulagement se peint sur le visage de celui que j'ai sauvé. En effet, le Chasseur a beau être un monstre, il n'est pas fou : il n'attaquera pas dans cette avenue bondée. Surtout avec la présence militaire sur abondante qu'a mis en place le gouvernement. Elle ne sert qu'à rassurer les gens et permettre à faire passer des lois oppressives, mais exceptionnellement dans notre cas, l'armée nous est utile. Maintenant que notre vie n'est plus menacée dans l'immédiat, une pointe de curiosité s'affiche dans les yeux du rescapé. Il m'observe puis regarde aux alentours pour comprendre où nous avons débouché. Il se dirige alors d'un pas décidé vers ce qui doit être un hôtel quelconque. Je reconnais alors le toit, j'y vais parfois en été lorsqu'il fait trop chaud. La ventilation y est vraiment bonne. Sur un coup de tête, je décide de le suivre. Il rentre et monte directement l'escalier, et je ne le quitte pas d'une semelle. Il sort une clé de sa poche, ouvre une porte et entre en la refermant derrière moi. Je m'installe sur le lit moelleux. La pièce est dans un thème marron, avec des meubles beiges assez sobres. Je n'y vois aucune affaire personnelle hormis un sac de transport dans un coin, mais les couleurs font de la pièce un endroit plutôt chaleureux si on ne prend pas en compte les murs un peu sales. Lui se contente de me regarder attentivement. Il vient s'installer à mes côtés. Et puis l'air de rien, se rapproche et me dit doucement :

« Alors dis-moi le chat, pourquoi viens-tu de me sauver la vie ? »

Le ChasseurWhere stories live. Discover now