Aurélien n'était parti que depuis quelques minutes et Éléonore s'ennuyait déjà. En 24h elle avait vécu tellement de choses qu'elle ne s'imaginait pas revenir à la monotonie de ces journées solitaires. Elle en voulu à son futur mari de lui interdire toutes formes de sorties. Pourtant elle ne pouvait rien faire. Plus son séjour avançait plus elle se sentait manipulée et prisonnière. Elle le savait, elle avait été prévenue cependant, quand l'isolement se fait trop fort, on devient fou. Les journées identiques sont le support d'une folie grandissante. A ça aussi Eléonore avait été préparée. Pourtant la réalité prenait le dessus de l'entraînement et ses leçons avec sa grand-mère lui semblaient tellement loin qu'elles devenaient floues. Elle s'allongea sur le lit et réfléchit.Elle avait mal à la tête, elle avait beaucoup trop de questions et pas assez de réponses. Mais la réflexion devint trop difficile car elle devait lutter contre le sommeil. La jeune femme le laissa donc l'envahir sans même penser à se glisser sous les draps.
Eléonore se réveilla naturellement en espérant retrouver sa chambre aux murs jaunes et gris d'enfant. Pourtant elle se trouvait toujours dans un lit, dans une pièce qui ne lui appartenaient pas. Elle s'étira avant de se rendre compte qu'elle avait été recouverte d'une couverture et en levant les yeux, elle hurla. Eglantine était assise sur un chaise, occupée à lire un livre assez épais. La vieille femme ne la regarda même pas, stoïque dans sa lecture.
« Que faîtes vous ici ? »
Eléono reprit le parti de ne pas faire part du désagrément de trouver quelqu'un à côté d'elle à son réveil, impliquant que la personne était entrée par effraction. La nourrice ne répondit pas finissant calmement sa page. Puis elle posa son livre et observa longuement la princesse.
« Personne ne sait que je suis là.
- Rassurant, pensa Eléonore mais elle se tut pour laisser son interlocutrice parler.
- Personne ne doit savoir que je suis là. Tout le monde est occupé en ce moment. Même les gardes devant votre porte qui ont accepté, grâce à beaucoup de persuasion, de quitter quelques minutes le devant de votre chambre. »
Eglantine lui lança un sourire étrange. Et se replongea dans son livre.
« Je suis sensé en conclure quoi ? »
Le silence lui répondit. Le livre se referma à nouveau.
« Ce que vous voulez. Vous pouvez même rien en conclure mais je vous pense bien plus intelligente, vous avez sûrement quelques hypothèses à formuler. »
Les deux femmes se regardèrent. Eléonore ne sut quoi dire tellement les pensées se bousculaient dans son esprit. Ils seront tous tes ennemis jusqu'à ce que tu connaisses leurs qualités, les faiblesses et leurs mensonges.Elle ne connaissait strictement rien d'Eglantine. Elle savait juste qu'elle avait élevé les deux fils de la reine et qu'aujourd'hui encore elle les accompagnait et les assistait. Elle ne savait même pas si elle devait ranger cette information dans qualité ou faiblesse en espérant que ce ne soit pas un mensonge. Selon les premières règles apprises, elle attendit sans prononcer un mot. Eglantine se leva soudainement et, d'un dernier regard sur la seconde occupante de la chambre, elle se dirigea vers la porte qui claqua derrière elle. Eléonore resta abasourdie, encore à demi couchée sur son matelas, à regarder la chaise où était assise quelques secondes auparavant la vieille dame. Et à force de garder les yeux sur ce mobilier, elle remarqua que le livre y était encore. Elle fronça les sourcils se demandant si cet oubli était voulu ou non.La curiosité est un vilain défaut si elle n'est pas nécessaire. Etait-elle nécessaire ? La jeune femme prit le livre. Mémoires de Thomas.Le titre était en bénimien laissant supposer que le livre entier était écrit dans cette langue. Cependant l'auteur n'apparaissait pas sur la couverture ni même sur la quatrième qui, par ailleurs,était seulement une page blanche. Sur la première page il y avait un dessin d'une jeune femme. Eléonore l'observa attentivement. Elle avait été représentée de profil au crayon noir. Elle regardait loin devant elle, comme perdue dans ses pensées, comme inattentive à son observateur peut-être sans savoir qu'elle était sa muse. Le papier était vieux, l'encre passé mais le dessin semblait vivant,récent. Eléonore pris une grande respiration et se plongea dans le récit de cet inconnu Thomas.
La journée puis la suivante passèrent à une vitesse éclaire. Eléonore ne prit pas le temps de dormir, pensant tout juste à manger quand les gardes lui déposaient ses repas. Quand elle eut terminé la dernière page, elle sentit une grande fatigue s'abattre sur ses épaules. Sa lecture n'éclairait qu'une partie de ses mystères et en créait de nouveaux, qui lui semblait beaucoup plus nombreux. Elle savait qui était Thomas sans savoir pourquoi elle n'en avait jamais entendu parler. Cependant elle avait compris l'objectif de ce livre, sans comprendre celui d'Églantine en le lui laissant. La couronne bénimienne lui apparaissait soudain plus clair mais la jeune femme ne saisissait le rôle qu'elle jouait dans la sauvegarde de ce royaume. Elle ne savait pas non plus quoi faire de toutes ces informations nouvelles qu'elle venait de recevoir. Elle ouvrit discrètement la porte de sa chambre. Les gardes se redressèrent en sursautant, surpris de ce mouvement soudain de la jeune femme.
« Je voudrais écrire à ma famille. »
Les deux hommes échangèrent un regard.
« Oui,oui, bien sûr mademoiselle, balbutia l'un des deux, pour le coup pas du tout sûr de lui.
-Très bien. »
Et Eléonore referma la porte aussi vite qu'elle avait été ouverte. Elle espérait qu'ils lui amenèrent du papier et un stylo mais ses espoirs étaient fins car elle se doutait que les gardes n'avaient pas assez de pouvoir pour prendre une décision concernant une prisonnière du château. Car après la lecture de ces mémoires elle se rendait bien compte qu'elle était retenu contre son gré dans un environnement qu'elle ne connaissait pas, sans contact avec l'extérieur.
Suite à une dizaine de minutes d'attente, une main timide frappa.
"Oui ?"
Un des deux gardes entra.
"Votre demande a été refusée."
Eléonore s'en doutait. Pourtant elle soutint le regard du garde. Il baissa les yeux, mal à l'aise. La jeune femme en profita pour le détailler. Il semblait sortir tout juste de l'adolescence, un simple duvet apparaissait sur son menton, ses yeux étaient marrons, presque noirs et lui donnaient un air déterminé et sûr de lui qui était effacé par sa posture de repli. Ses épaules étaient penchées en avant comme pour le protéger du monde extérieur. Elle observa ensuite son uniforme : un pantalon noir, un tee-shirt bleu marine, couleur de Bénimi. Son arme était restée avec son collègue, et ,même si Eléonore la voyait, elle n'avait pas la connaissance technique militaire pour donner son nom. Quand il releva la tête vers Eléonore, elle sourit pour ne pas l'effrayer plus.
"D'accord, merci d'avoir demandé."
Il se recula, d'un sourire crispé, et sortit.
Deux, trois, cinq jours passèrent indifférents à la solitude d'Eléonore. Pourtant elle lui pesait. Elle se sentait disparaître des mémoires, même de la sienne. Elle parlait à voix-haute pour ne pas sombrer dans la folie. Peut-être était-ce le début de la folie. Elle relisait le seul livre à sa disposition, l'annotant dans sa tête, elle essayait de monter sur la chaise pour être la plus proche de ses fenêtres, la plus proche de la lumière. Elle marchait le long des murs de la chambre, s'allongeait sur le sol pour observer toutes les aspérités de cette pièce qui l'oppressait. Elle ne savait plus si elle détestait son père et sa mère de l'avoir destiné à être une princesse et donné pour servir de liaison entre les royaumes ou sa grand-mère qui devait la préparer à cette vie là sans jamais lui parler de l'attente et de l'enfermement ou à la famille royale de Bénimi qui l'avait enfermé dans quinze mètres carrés sans la laisser sortir ou voir du monde. Elle s'en voulait à elle-même de ne pas avoir refusé ce contrat, alors que personne ne lui avait réellement proposé. Elle avait donc son destin dans les mains de plein de personnes mais sûrement pas entre les siennes. Prends ton mal en patience, cela te sera toujours récompensée, plus que tu te l'imagines sur le moment. Alors, le soir, enfin ce qu'elle espérait être le soir, de la cinquième journée, elle s'endormit en pleurant de patience.

VOUS LISEZ
Rester silencieuse
General FictionElle part avec un secret et un mariage. Mais ne connaît ni l'un ni l'autre.