Ce qui ne devait être qu'une matinée d'école buissonnière s'est transformée en une journée complète. Décision totalement inconsidérée quand on sait que ma seule chance d'obtenir une distinction pour mon parcours scolaire, reposait sur mon assiduité sans faille.
Tant pis pour les honneurs, j'avais besoin de faire un break, et celui que je viens de faire m'a fait le plus grand bien.
Après avoir posté cette photo, j'ai commencé à regretter. J'ai passé les premières heures à guetter du coin de l'oeil mon téléphone portable, posé sur la table basse, dans l'attente d'une déclaration de guerre de la part de Madison. Et à chaque vibration, je sursautais, sans jamais me résoudre à me lever pour regarder qui m'écrivait. En d'autres mots, j'ai fait l'autruche. C'est nul, je sais, mais je me dis que tant que je n'ai pas lu les mots, ils n'existent pas.
C'est peut-être d'ailleurs pour ça que je n'ai pas ouvert les messages de Shawn.
La théorie de Schrödinger appliquée à ma vie. Et pour l'instant, ça me réussi, le chat est toujours en vie, et je n'ai aucune idée de ce qui se dit sur moi, ou des horreurs que Madison a dû répandre à mon sujet. Mais surtout je m'en moque.
Parce que, jusqu'à présent, rien ne m'atteint.
Avachie sur le canapé, je comate en digérant la demi tonne de chips que je viens d'ingurgiter, heureuse de m'être réfugiée dans cette bulle hors du temps. Pourtant bien consciente du fait que je ne fais que repousser l'inévitable. Plus j'attends, pire ce sera.
Résignée, je soupire et m'empare de mon portable.
Et bien, c'est moins pire que ce à quoi je m'attendais. Aucun message d'insulte, ni de promesse de vengeance sanglante. Seulement les notifications des commentaires postés sous ma photo, qui se résument pour la plupart à des tags d'autres personnes, des « OMG » ou « Je rêve ! Elle a pas osé ? ». Impossible de dire si c'est positif ou négatif, mais tant que ça s'arrête là, ça me va. J'ai bien conscience de m'être attaquée à la partie la plus facile, puisqu'il me reste encore les Snap de Shawn à lire. Mais je ne suis pas sure d'avoir le courage de le faire. J'ai peur de ce que je vais voir.
Allez Jamie, un peu de cran.
Alors que je m'apprête à ouvrir l'application, Luc revient dans le salon, tout sourire. Il prend de l'élan, saute au dessus de la table et atterrit, tête la première, sur le coussin à côté de moi. Il grogne en se réinstallant et, une fois chose faite, me donne un coup d'épaule.
Son air goguenard ne me dit rien qui vaille.
- Dis moi, ma vieille, tu voudrais pas continuer sur ta lancée d'ado rebelle en puissance et faire le mur pour aller à une fête ?
- Quand ?
- Ce soir... dit-il, un large sourire aux lèvres.
Je rejette la tête en arrière et soupire longuement. J'hésite. Une fête... Un soir de semaine qui plus est. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, mais la mine réjouie de Luc et l'envie de me changer les idées finit par me convaincre. Il sera toujours temps de me confronter à la réalité demain. J'affronterai les conséquences de mes actes, mais pas ce soir.
Je referme l'application et hoche la tête en silence.
Il n'en fallait pas plus pour que Luc saute de joie. Littéralement. Il a bondit et s'est réceptionné sur ses pieds avant même que je n'ai eu le temps de songer à m'extraire du canapé.
- Allez, viens. On va te trouver quelque chose d'autre à mettre.
- Tu reproche quoi à ma tenue ? Demandé-je, les bras croisés, le sourcil arqué.
- Rien ! Souffle-t-il en levant les yeux au ciel. Arrête d'être sur la défensive. Mais tu ne m'as pas laissé t'annoncer le plus intéressant. C'est Mike qui m'a invité. Tu sais ce que ça veut dire ?
Oh oui, très bien. Mike, son cousin - l'un des seuls membre de sa famille qui vaille le détour – étudie dans la fac voisine depuis deux ans maintenant. Donc, s'il nous invite à une fête, ça ne peut vouloir dire qu'une chose. Que la soirée aura lieu à la fraternité. Et que de ce fait, je serai entourée de gens matures, intéressants, mais surtout, étrangers au corps étudiant de Fellpoint.
Le rêve.
Sans attendre, je tente de me relever comme Luc vient de le faire, mais rate ma réception et atterrit lourdement sur son pied.
- Putain, Jamie, grogne-t-il, alors que je l'attrape par le poignet pour le traîner derrière moi.
Il a raison, il faut que je me change.
Après avoir passé en revue ma penderie, essayé une dizaine de tenues différentes, Luc me fait signe que cette fois, c'est la bonne. Il est vrai que l'ensemble mini jupe en cuir, t-shirt blanc et converse noire mets mes jambes en valeur, mais je pense surtout qu'il en a assez de jouer les stylistes personnels.
Il trépigne d'impatience. Au sens propre.
Ce que je peux aisément comprendre. Moi qui n'étais que peu encline à me rendre à cette soirée, me suis finalement laissée gagner par l'excitation de mon meilleur ami. Mon état ressemble fortement à celui d'un gamin qui aurait ingurgité trop de sucre. Je danse, chante, pince Luc alors qu'il essaye de conduire. Quand sa playlist passe sur « Stitches » de Shawn Mendes, j'envoie à la hâte le message destiné à prévenir mon père de mes projets, et monte le volume au maximum. Pour nous mettre dans l'ambiance. Pour pouvoir me briser la voix sans être entendue. Mais aussi pour chasser les pensées parasites qui affluent en nombres pour gâcher l'instant.
« I thought that I've been hurt before
But no one's ever left me quite this sore Ȃa me parle tellement.
Et comme si le nom du chanteur ne suffisait pas à ramener mes pensées dans les iris dorées d'un beau brun qui hante déjà mes rêves, il a fallu qu'il mette en musique des mots qui semblent tirés de mon journal intime. A chaque fois que je ferme les paupières, je revois sa mâchoire contractée, ses larges épaules, et mon coeur se serre dans ma poitrine, comme il l'a fait ce matin. Parce que j'ai l'impression que quelque chose s'est brisé entre nous.
D'un regard couleur de miel assombrit par une sévérité que je ne comprend pas.
C'est la voix de Luc qui me sort de mes rêveries. Enfin, la note suraiguë qui ponctue sa phrase. « On est arrivés! ». Tout à coup l'enthousiasme qui m'habitait il y a quelques minutes, me semble à des années lumières. Je me fait l'impression d'une coquille vide. Mon corps est là, mais mon esprit, lui, vagabonde dans les vallons d'une fossette tentatrice.
Consciente du fait que je suis en train de me gâcher la soirée avant même qu'elle n'ait commencée, j'essaye de chasser le joueur de basket sexy de mes pensées et me tourne vers mon ami pour lui offrir mon plus beau sourire.
Aussi faux que le fessier de Kim Kardashian.
Habitué à mon humeur fluctuante, Luc ne s'en offusque pas. Il m'attrape par le bras et entreprend de me raconter les péripéties qui lui sont arrivées à chaque fois qu'il s'est rendu à l'une des soirées de la fraternité. Où je ne l'avais jamais accompagné avant aujourd'hui.
Encore une fois, ses efforts sont récompensés, puisque nous ne sommes pas arrivés à la moitié de l'allée qui mène à la maison loué par la confrérie que j'ai déjà retrouvé mon impatience. Tant et si bien que je n'entend pas le bruit de mes pas sur les gravillons, à cause de mon coeur qui tambourine à mes oreilles.
Plus fort que jamais. Comme si cette fête allait tout changer. Et que ce soir, tout était possible.
VOUS LISEZ
F*ck it List
Teen FictionAssez ! Que la capitaine des cheerleader ignore son nom après trois ans dans le même lycée ? Passe encore. Mais que le nouvel élève, et partenaire de labo de Jamie, réponde à son invitation Facebook par "On se connait ?", c'en est trop. Elle est bie...