La tombe de Sherlock

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John s'avança parmi les tombes qui jaillissaient de terres à la manière des bourgeons au printemps. La tête basse, le regard effleurant le sol, la démarche lente, foulant tout juste l'herbe humide de sa dernière pluie. Au dessus de sa tête, le ciel était voilée d'un épais duvet gris, qui menaçait de se fendre à chaque instant.

Après quelques pas, il arrêta sa marche et leva les yeux. Son regard embrassa l'épitaphe d'or gravée dans la noirceur du marbre. Il ferma les yeux un instant, imaginant la silhouette d'un être cher à ses côtés, sans jamais se douter que l'être chéri, à quelques mètres seulement, l'observait depuis plusieurs semaines déjà.

Ne sachant que dire de plus, quoi ajouter à tout ce qu'il avait déjà avoué  et souhaité du plus profond de son coeur meurtri, il commença, la voix claire, douce et d'une sincérité aussi pure que la première neige d'hiver :

- Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, je partirai.

L'être cachée, dissimulé, mort dans chacun des esprits, fronça les sourcils, perplexe. Cela n'avait aucun sens. Pas même pour lui, maître de la déduction.

- Vois-tu, je sais que tu m'attend. J'irais par la forêt, j'irais par la montagne, je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Sans savoir, sans vouloir, comme déposséder de son propre corps, son coeur se serra, dans l'ombre flétrie d'un arbre mourant. Perdu dans son obscurité profonde. Attentif.

- Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit.

Ses mains se crispèrent contre l'écorce rèche, sans en recevoir l'ordre, sans aucun contrôle, blessant ses doigts, sans douleur physique. John s'adressait-il à lui ? Ou parlait-il de lui ?

- Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisés, triste, et le jour, pour moi, sera comme la nuit.

Il resta immobile, écoutant avec une peine débordante, qui tentait de s'échapper, fugace, perlante, ombragée.

- Je ne regarderai ni l'or du soir tomber, ni les voiles au loin descendant vers Harfleur.

Soudain, il sembla comprendre, comme un écho aux paroles prononcés, le poème lui revint. Et il pria, il supplia de toute la force de sa pensée qui semblait gémir et se plaindre dans tout son être charnel. " Arrête, par pitié... " Son âme semblait le quitter pour de bon cette fois-ci. Il ne voyait plus rien d'autre que la vision trouble de l'homme sur sa tombe. Il n'entendait plus que la voix d'un amant perdu et la voix d'un coeur qu'il avait cru mort depuis longtemps.

Il ne ressentait rien d'autre que la douleur, la peine que les larmes, ingrates perles scintillantes, traçaient comme une brûlure sur ses joues. Jamais, au grand jamais, il n'avait ressenti plus ardente brûlure, plus ardente flamme consumer son coeur.

Jamais, au grand jamais, il n'avait délaisser avec tant de force son esprit si bien ordonné, son esprit analytique. Et ce, sans aucun contrôle. Jamais, au grand jamais, il n'avait été capable de tant d'amour pour quiconque. Jamais, au grand jamais, il ne s'était adonné à cette flagrance humaine qu'il haïssait tant.

Il n'avait jamais pensée être capable de... sentiments. Les rouages étaient cassés, inutiles, blessés. Ce n'était pas un grain de sable, ni même une poussière. C'était une véritable tempête qui se déchaînait sur son incommensurable logique. " Ne dit rien d'autre...John...S'il te plaît..."

Il implora le ciel, l'homme dont il ne voyait désormais que la silhouette, il implora tout ce qui aurait bien pu l'écouter, mais rien ne fit cesser l'ami, l'amant au coeur meurtri, tout comme lui. Il pria qu'on le fasse taire, il ne pourrait y tenir plus longtemps. Pourquoi cela lui arrivait-il à lui ? Le grand, l'insensible Sherlock Holmes ?

Et malgré ses pensées douloureuses, John continua.

- Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe, un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Une larme ruissela sur la joue de John. Elle glissa, dansante, suivant la pommette, dérangeant le menton déjà tremblant, effleura la Pomme d'Adam, nouée par la tristesse, puis termina sa course au creux du cou. Sans tarder, une seconde suivit, puis une autre, et une autre, déferlant comme une troupe de soldat sur un champ de bataille.

- Oh Sherlock...murmura-t-il la voix brisé par le chagrin.

Une main longiline, blafarde, essuya maladroitement sa joue. Il leva les yeux sur un homme, aux boucles brunes, au visage taillé par les larmes qui semblait ne vouloir cesser et aux lèvres tremblantes qui murmuraient son nom. Ces lèvres déposèrent un baiser evanescent et la silhouette éphémère de Sherlock disparut sans se retourner.

Ne fût-ce qu'un rêve, c'en était le plus beau, jamais John ne sût, mais Sherlock, encore s'en souvient, ce n'était pas un rêve.

La tombe de Sherlock - OS JohnlockOù les histoires vivent. Découvrez maintenant