VI

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Quelqu'un sait comment faire pour s'occuper ? Pour ne plus se faire chier à en mourir ? Parce qu'en ce moment je m'ennuie clairement. Sans Noam il m'est tout bonnement impossible de faire quelque chose. Surtout lorsque mon frère est occupé à vagabonder dans notre petite ville en compagnie d'Ethan. J'aurais pu les accompagner, mais je ne le voulais pas. Puis je sens qu'ils avaient besoin de se retrouver seuls tous les deux – sans doute une intuition.

Donc je me retrouve ici, allongé dans mon lit à compter les moutons.

En plus, il n'est seulement quatorze heures, et cela fait maintenant une heure que j'ai terminé les cours. La journée risque d'être bien longue. Ajouté à tout ça, j'ai déjà regardé toutes les séries et films que j'aurai pu me mater aujourd'hui. Belle la vie.

Ma tête se tourne, et j'aperçois le ciel légèrement couvert dehors à travers la fenêtre. Un peu de bleu est encore présent, mais je sens que d'ici ce soir il va pleuvoir. Cela rajoute une couche à ma déprime. Ce ciel qui devient de plus en plus maussade pendant que la journée avance, me fait penser à ces journées que je passais à le regarder. À imaginer en contemplant cette couleur grise que serait ma vie si je n'avais jamais été homosexuel. Si je ne l'avais jamais découvert.

Peut-être serais-je encore aimé de mes parents, ou je ne serais sans doute jamais tombé amoureux de mon meilleur ami. Qui sait ? Je serais probablement en train de bécoter avec une jolie fille, et j'aurais fait la fierté de mes parents. Éventuellement même la fierté de Noam.

Mais tout ceci n'est qu'un rêve. Qu'un rêve qui ne sera jamais réalité parce qu'une orientation sexuelle ne se contrôle pas, parce qu'il est difficilement possible que des personnes qui vous détestent et renient, puissent vous aimer à nouveau sans avoir honte. Sans être dégouté en voyant mon visage, mon corps de tapette.

En soufflant, je décide de me lever pour aller dans la salle de bain. Histoire de me débarbouiller un peu le visage. Sauf que je ne m'attendais pas à le voir là, adossé sur le mur du couloir. Comme s'il attendait quelqu'un. Peut-être attend-il un de ses plans culs ?

Je passe à côté de lui en évitant au maximum de poser mon regard sur lui. Qui sait ce qu'il pourrait me faire. Surtout que d'après mes souvenirs tous les garçons sont partis, donc il ne reste plus que nous dans cette énorme maison isolée. Imaginez qu'il me viole ? Ici ? Dans le couloir du premier étage de la fraternité ?

Je suis carrément parano là.

N'empêche que j'avais des raisons de m'inquiéter, puisqu'il m'attrape le bras et il nous enferme dans sa chambre. Je suis cloué sur place, plus aucun de mes membres ne bougent. Je crois même que je les sens trembler.

— Je vais pas te violer putain, arrête de stresser.

Même cette phrase ne me rassure pas. Le ton qu'il a employé montre clairement qu'il n'est pas de bonne humeur, donc je ne répliquerais pas. J'aimerais quand même savoir la raison de son énervement. Est-ce parce que j'ai cru qu'il allait me violer ?

Son regard change, comme si une idée lui était soudainement parvenue en tête. Son corps se rapproche dangereusement du mien, me faisant reculer jusqu'à ce que je percute la porte fermée à clé de sa chambre. Son corps entre finalement en contact avec le mien, et j'ai l'impression qu'il essaie de mettre une pression, pour qu'on ressente je ne sais quoi.

Mes yeux se ferment violemment. Ce n'est pas que je n'aime pas, mais disons que je l'aime tellement, lui, que cela me fait du mal de le voir si proche de moi alors qu'il fait sans doute ça pour me faire payer mon homosexualité, pour se moquer de moi, pour me montrer qu'il ne sera jamais mien.

Et dieu sait comment cela me fait mal. Comment cela me détruit plus que je ne le suis déjà. Cette sensation est l'une des pires sur cette terre.

— Tu aimes ça ? demande d'un ton presque timide mon interlocuteur.

Vient-il réellement de me poser cette question, là, maintenant ? Putain, si j'ai bandé à cause de lui ce n'est pas pour rien non plus.

— Q-que... Qu'est-ce que tu fais ?

Pour seule réponse, il se détache de moi en soupirant, j'ouvre donc les yeux et il passe ses mains dans ses cheveux, comme s'il était perdu.

Sauf que je ne sais comment, ni pourquoi, mais son visage se retrouve à seulement quelques centimètres du mien, et je sens son souffle percuter ma peau. Sa mine séductrice est à nouveau présente, mais je ne l'aime pas, ne l'aime plus. Pas dans des moments comme celui-ci.

Mes yeux se referment automatiquement. Le fait de le voir rend mon cœur dans un état si pitoyable que même mon regard ne le supporte plus maintenant. Son bassin se colle au mien, et je sens qu'il bande. Je sens qu'il est excité.

Merde, et s'il était excité car il a en tête qu'il va me violer ?

Non, tu es parano, Jaël.

Paranooooooo...

J'ouvre mes yeux, pour qu'ils entrent finalement en contact avec les siens. Puis, comme ces derniers temps, ils restent scotchés l'un dans l'autre, aucun de nous ne cherche à briser cet échange.

Sauf que je sens que ma vision devient floue. Une fine coulée d'eau descend le long de ma joue, mais je ne fais rien pour la retirer. Je n'en peux plus. Ne se rend-il pas compte que je l'aime ? Que tout ça n'est pas qu'un simple jeu pour moi ? Qu'on ne peut pas jouer avec les sentiments des gens comme bon nous semble ? Je ne tiendrai plus longtemps dans cette position, son corps collé au mien, je ne le supporte plus.

Cet amour est étouffant. Il me tue. Même si cette douleur n'est pas comparable à mes années de lycée en compagnie de mes parents violents, je trouve qu'elle est bien pire. Parce que je n'ai jamais eu de vraies relations fusionnelles avec mes géniteurs. Alors que je passais ma vie avec Noam. Lui, je l'aime. Donc la peine que je ressens en ce moment est bien plus grande que tout ce que j'ai pu ressentir le long de ma courte vie. Même si une seule chose m'a bien fait plus mal...

La main de mon ex meilleur ami vient caresser ma joue pour enlever cette larme solitaire, enfin... Plus trop solitaire puisque plusieurs autres pleurs l'ont rejoint.

C'est là que je craque. C'est à ce moment que je l'éloigne de moi, sans le pousser trop violemment. J'attrape la clé qu'il a posée plus tôt sur sa commode à ma gauche. Puis quelques instants plus tard, je suis dans ma chambre, recroquevillé sur moi-même, en train de pleurer à chaude larme.

Pris de soubresauts, je serre plus fort mes jambes, imaginant que je tiens un ours en peluche dans mes bras. Je ne fais rien pour stopper ce début de crise, je ne fais rien pour me calmer. En quelque sorte, je ne veux pas arrêter de pleurer, j'ai besoin que toute ma peine sorte. Ces coulées d'eau doivent sortir, parce que je n'en peux plus de les retenir – même si ces derniers jours, je ne faisais rien pour.

Que vient-il de se passer ? Qu'est-ce qui lui est passé par la tête ? C'était un test ? Une vengeance ? Voulait-il se moquer de moi ?

Beaucoup trop de questions pour si peu de réponses.

En réalité, j'aurais aimé qu'il me suive, qu'il me dise qu'il est désolé et que cette putain d'homosexualité ne le dérange pas. Que nous soyons à nouveau comme avant, proche, inséparable. Sauf que rien ne sera plus jamais pareil, des choses comme ça, même après une réconciliation, ne s'oublient jamais.

Et j'avais totalement raison.


♫ Ghost Of You - 5 Seconds of Summer

Just a dreamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant