J'avais retrouvé Safiétou qui manipulait son téléphone. Elle a jeté ce dernier lorsqu'elle m'avait vu et souriait de toutes ses dents. Je sentais à mille kilomètres les questions qui allaient sortir de sa bouche.
– Alors ? Vous avez conclu ?
– Je ne comprends pas. Conclure en quoi ?
– Bah avec Monsieur Cissé. Ne me fait pas croire le contraire, je l'ai vu te tourner autour cette semaine. Bon, c'est assez tôt, je n'en disconviens pas, mais...
Je l'écoutais parler encore et encore. Qu'avais-je oublié sur elle ? Ah oui, c'était qu'elle pouvait parler toute la journée et tant qu'il y avait quelqu'un qui l'écoutait déjà, c'était bon. Elle ne se souciait pas qu'on la réponde, juste l'écouter parler suffisait. Je la coupais dans son délire.
– Je viens de te raconter mon passé avec mon mari... J'avais pris mes résolutions le jour où il m'avait répudiée. Et c'est encore tôt pour souffrir, je ne veux plus d'un Issa dans ma vie, alors que les hommes sont tous pareils.
Et elle devenait l'avocate du diable. Fallait la voir se donner tout le mal du monde juste pour essayer de me brancher avec un homme qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Ève.
Chérif était charismatique, mystérieux et peu bavard. Dans une vie où il n'y avait pas de Issa, je lui aurais, volontiers, ouvert mon cœur, mais c'est trop tard... Ni un mois ni une année n'ont suffi pour l'enlever de ma tête, c'est indéniable qu'il fait parti de moi.
Dans la suite de notre discussion, Safiétou avait fini par s'ouvrir à moi. J'étais surprise au moment où elle m'avait fait part de ses sentiments envers William, notre directeur des ressources humaines. Je ne voulais pas qu'elle souffre d'une quelconque manière. Tout le monde savait l'enjeu qu'entraînait le fait de sortir avec un chrétien, mais elle non. Elle semblait déjà éprise de cet homme, elle parlait de lui avec une telle passion et dévouement que j'en eus peur pour son avenir. Mine de rien, elle occupait déjà un si grand espace dans mon cœur que je voulais lui éviter une souffrance prochaine dans cette relation.
– Tu sais ce que tu encoures Safiétou, n'est-ce pas ? Sortir avec un homme qui n'est pas de la même religion entraine beaucoup de sacrifices. Tu es encore jeune, prend ton temps, pose-toi les bonnes questions, pense à ta famille et au jour où elle apprendra cette relation. Je ne te juge pas mais je veux juste t'ouvrir les yeux. Réfléchis-y, d'accord ?
– Je le sais, ne t'inquiètes pas... Je sens moi aussi que William et moi, c'est voué à l'échec... mais tu sais, il y a cette étincelle en moi qui me pousse à toujours vouloir me battre pour que cela réussisse... j'aime William, et de la même façon que tu as aimé Issa, tu comprends ?
J'opine la tête, trop navrée pour eux. Je la prend dans mes bras et la réconforta puisqu'elle semblait triste d'un coup. On s'est endormie, chacune avec ses peines, espérant un futur mieux... Nous nous sommes réveillées le lendemain toute courbaturée, mais ce n'était pas le moment de nous apitoyer sur notre sort, une longue journée nous attendait...
La journée était, comme je le pressentais, très chargée. Je ne faisais que courir de gauche à droite, c'était notre avant dernier jour et il fallait que l'on cartonne, l'entreprise avec laquelle nous faisions affaire représentait un jackpot pour nous. Et voilà ce qu'il me fallait, une occupation qui me permettrait d'oublier.
Entre deux temps, mon esprit voyagea. Le baiser d'hier soir refit surface. Je ne savais ce qui m'était arrivé ; même dans mes rêves les plus fous, je n'avais espéré ressentir ce que j'ai ressenti avec lui, et surtout, je croyais dur comme fer qu'aucun autre qui n'est Issa n'y arriverait. « Ki dou nit » me dis-je à moi-même, sinon comment expliquer le fait qu'il soit arrivé à me déstabiliser juste avec un regard.
Bref, après avoir signé le contrat, Diané nous convia au restaurant de l'hôtel pour une petite fête. Je n'avais surtout pas la tête à cela, mais notez bien que Safiétou ne me laisserait pas tranquille si jamais j'osais refuser.
À notre table, il y avait toute notre équipe et celle de l'entreprise de Chérif. L'ambiance était au rendez-vous, même si l'on ne s'est fréquenté que peu de temps, ce dîner servait surtout à renforcer les liens, autres que dans le cadre du boulot. J'étais entre Diané et Talla, Safiétou et Chérif étaient devant nous, Fatima, l'autre collaboratrice et William, chacun au bout de la table.
-Célibataire dal bakhoul, séday sou dioté rek, ndeysane gnou commencer sopi djiko, gua yeureum leine, oh ! (Le célibat n'a rien d'avantageux ; attendons juste l'hiver pour les voir changer au point de devenir malheureux.)
Nous pouffons tous de rire. Talla, qui était le seul marié du groupe s'était mis à nous charrier, nous autre célibataires. Mais nous tous avions rit, sauf un. Chérif. Il se mettait à son occupation favorite durant ces derniers jours, me reluquer. Même si cela pouvait sembler impensable, j'adorais ça. Mon estomac se contracta. Je le regardais, les yeux plissés, de sorte à ce qu'il sache qu'il me gênait. Si j'étais blanche, le rouge me serait monté aux joues ; je vous l'assure, ce mec est une tentation sur pied.
– Aie pitié de mon copain, s'il te plaît, se mit à chuchoter Talla à mon encontre. Il n'a cessé de me parler de toi durant cette semaine. Quel sort lui avez-vous jeté jolie demoiselle ?
J'éclatai de rire pour la énième fois durant cette soirée. Talla était par-dessus tout, très sérieux.
– Mais rassurez-vous monsieur, je ne lui ai absolument rien fait. Peut-être que c'est mon charme légendaire qui lui a jeté un sort, qui sait ?
– Confiante en plus. On aime. Mais s'il te plaît, aide le way. D'ailleurs, je vais me concentrer sur autre chose sinon je risque de revenir mort à Dakar.
Accompagnant le geste à la parole, il se ramena à la discussion qu'il y avait à la table. Je risquai un regard vers Monsieur. Évidemment, ses yeux dévoilaient une colère qu'il se voulait masqué, mais je ne connaissais que trop bien ce genre de regard.
À cette pensée, le visage d'Issa s'imposa dans mon esprit ; j'avais l'impression de le trahir, je ne faisais rien de mal à ce que je savais. Le baiser, les regards volés... Tout. Après notre séparation, il m'avait harcelée de messages : pardonne-moi, je t'aime... Je n'y répondais jamais, de peur de flancher à nouveau. Et une semaine plus tard, tout avait cessé. Notre amour d'antan était remplacé par une froideur sans égal. On ne se voyait plus, il avait disparu d'un coup. Néanmoins, il continuait de s'occuper de moi, de l'appartement... Notre mariage était-il une erreur ? Sûrement pas, avec tous les bons moments passés ensemble. Issa m'avait fait découvrir l'amour et ce qu'il était, je ne l'en remerciais qu'assez...
– Ratou ? Tu es là ?
La voix de Diané me tira de mes pensées. J'étais loin à ce point.
– Oui... Lui répondis-je, un sourire crispé scotché aux lèvres.
– Bien. Alors tu m'expliques ce qui se passe avec Monsieur Cissé.
– Quoi ? M'offusquais-je doucement. Mais où vas-tu chercher cela ?
– Nulle part, dit-il en haussant les épaules. Je vous ai vu... Vous n'êtes pas du tout discrets, dit-il, un semblant de sourire espiègle.
Je ne lui répondis pas, me contentant d'un rictus à la place. Leurs sous-entendant me poussaient à devenir contradictoire à moi-même. D'abord étais-je toujours amoureuse d'Issa ? Ou bien c'est ce que me rapprochais ma mère qui commençait à se faire sentir : « Issa dong dou goor Ratou, beugoko, dang ko mine motakh... » (Issa n'est pas le seul homme sur terre, tu ne l'aime pas, tu t'es juste habituée à lui). Chérif me plaisait-il ? Ça, c'était indéniable, je devenais toute moite en sa présence. Dans le temps, je me retrouvais piégée, je n'aimais pas la situation dans laquelle je me trouvais, il y avait trop de questions qui se bousculaient dans ma tête, je n'arrivais pas à réfléchir...
Nous sommes rentrés à Dakar le surlendemain. Notre soirée s'était très bien terminée, de même que notre séjour. Je n'avais plus revu Chérif, enfin, plus pour longtemps car nous étions désormais collaborateurs, nous serons amenés à travailler ensemble. Je me préparais psychologiquement à le revoir même si je prétendais le contraire...
Un jeudi, à dix heures du matin, je reçus une visite très étrange...
VOUS LISEZ
À divorce près
General FictionAmour, mariage, divorce ! Que de mots ! Il y a plus profond dont, même les âmes les plus enfouies ne sauraient définir. Ici, il y a Ratou et Issa dont le mariage fondé sur un amour sincère parachève à un divorce...