Crisis

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Introduction

La crise a eu raison de nous et tout ce qu'on a réussi à faire, c'est s'entre-tuer. Pendant que les pauvres essayaient d'obtenir les dernières sommes d'argent, les riches se sont tapis dans l'ombre avec toutes leurs richesses. La vie est devenue dure: famine,révoltes, meurtres, génocides de populations entières et cannibalisme. L'argent ayant disparu de la surface du monde, il a fallu trouver une autre monnaie pour pouvoir vivre comme auparavant. Tout objet est devenu alors signe de monnaie: vêtements, véhicules, bétail ou du moins ce qu'il en restait, armes, balles et même humains. La vie devenait alors de plus en plus grise et des personnes s'enrichissaient sur les autres qui finissaient par mourir en perdant le peu qui leur restait. Le monde n'est plus celui qu'on a connu.

Chapitre I

C'est ce qui vient à l'esprit de Aiden qui le réveille en sursaut, transpirant de peur, tapis dans les ténèbres humides où il se trouve. Se relevant péniblement, il s'essuie le front avec un linge sale trouvé près de lui. Ce n'est pas tous les jours que quelqu'un dort dans une épave de voiture. Ouvrant la portière, il aperçoit la lueur limpide d'un matin d'automne à l'horizon. L'air est frais, avec une légère alizée qui caresse le visage de Aiden. Il s'étire et réajuste son blouson noir cramoisi, il enfile son sac sur le dos et repasse son jean bleu foncé. S'apprêtant à reprendre sa route ,il se retourne en secouant la tête et se penche dans l'ouverture de la portière puis en sort une mitraillette. C'est une M4A1, équipée d'une lampe-torche, d'un viseur laser et d'un unique chargeur contenant exactement trente cartouches.

Cette arme accompagne Aiden depuis le début de son voyage et le chargeur ne s'est jamais vidé ou fait remplacé. Il l'utilise souvent comme arme de dissuasion lorsqu'il est pris à partie dans une attaque de bandits de la route.

Aiden se remet en marche en direction de l'ouest, il n'est plus très loin de la frontière franco-allemande. Pour ne pas s'ennuyer, il écoute grâce à son téléphone, les sons enregistrés de l'océan. Cela l'apaise et lui permet d'oublier l'environnement dans lequel il vit. Aiden ne se souvient plus de sa vie antérieure, il préfère l'oublier mais il est un homme rongé par quelque chose, une chose que lui seul sait.

Cela fait des jours et des jours qu'il marche, suivant toujours sa route, cette longue asphalte qui semble le guider. L'automne est rude cette année et Aiden est pris de quintes de toux. Toussant dès que ses poumons sont sur le point d'exploser. Cela lui tombe dessus à chaque automne, comme une malédiction, cette toux le perce jusqu'aux os, diminue ses forces et fait faiblir son souffle. Et maintenant, chaque quinte de toux est de plus en plus violente.

Tout en marchant, il constate que sa respiration est de plus en plus sifflante, ça l'inquiète et pense trouver des médicaments au plus vite pour éviter une pneumonie à cause de l'humidité. Il ferme son blouson jusqu'à la pointe du col et se mouche pour dégager ses voies respiratoires. Il sent la douleur dans son thorax, il se sent comme compressé, comme si quelque chose l'écrasait. Il enlève son sac qu'il pose à terre et inspecte le contenu de sa boîte à médicaments. Elle est vide. Aiden soupire et se relève lorsqu'il remarque un bâtiment au loin. Ni une, ni deux, il ne tarde pas à réfléchir et file vers sa direction.

Quelques instants plus tard, l'arrivée de Aiden trouble le silence de l'autre côté de l'entrée. La pièce est plongée dans l'obscurité, et une odeur insoutenable y réside. Aiden tousse et place son foulard sur son visage pour couvrir son nez et sa bouche. Il allume la lampe de son arme et avance d'un pas lent dans le noir. La première chose qu'il voit, c'est du sang séché recouvrant le carrelage, puis des assiettes sur le comptoir où des restes de nourriture avariée régalent les mouches qui picorent. Aiden remarque également une personne assise sur une banquette, couchée sur la table. En s'approchant lentement, il appuie avec le canon de sa mitraillette sur le corps qui ne bouge pas d'un millimètre. C'est celui d'un homme, vêtu d'une chemise à carreaux noirs et rouges, un jean bleu délavé. Il est mort sans pouvoir terminer son dernier repas, son assiette est encore remplie. Aiden fouille les poches du défunt mais n'y trouve rien. Il soupire et continue son chemin puis parvient à trouver ce qu'il cherche: bandages, cachets d'aspirine, spasfon pour le mal de ventre, et sirop pour la toux.

Une autre quinte de toux plie Aiden en deux. Il résiste car pour lui, déglutir c'est comme se faire poignarder de plein fouet dans la gorge. Il ne peut s'empêcher de cracher une série de glaires couleur vert clair, il ouvre la bouteille de sirop et en prend deux gorgées. Le goût ressemble à celui des escargots au beurre à l'ail. Il a envie de recracher mais se force à avaler en faisant la grimace. Il referme la bouteille, la met dans sa boîte de premiers secours et referme son sac.

Il poursuit ses fouilles et trouve quelques conserves dans la chambre froide. Il n'hésite pas à les prendre car il estime qu'il ne sert à rien de râler en cette période difficile. Il prend toutes les conserves, sauf celle aux omelettes car il en a horreur. Il déteste le goût des œufs et la consistance. Il referme son sac et retourne les talons.

Il s'apprête à reprendre la route quand il regarde le comptoir. Il l'observe et passe derrière puis y trouve un fusil à double canon scié et une boîte de cartouches pleine. Il sourit et met le fusil et la boîte dans son sac à dos et repart.

Si l'on considère que la situation est anormale, on peut d'ors et déjà remarquer que Aiden n'est guère bavard. Pour lui, il ne parle que lorsque c'est nécessaire, il n'aime pas parler pour rien dire.

Dehors, le vent ne souffle plus, le ciel est gris et sombre à l'horizon. D'une main, Aiden tient fermement sa mitraillette par la poignée. Il sent l'odeur de la pluie qui s'annonce et le tonnerre qui va résonner. Mais il sent également une autre odeur: celle de la mort. Il ne tarde pas à trouver une voiture, encastrée dans un poteau d'une ligne électrique. Aiden s'approche et se penche pour mieux voir et observe avec effroi le cadavre qui se tient au volant. Il pose doucement sa main sur son épaule en observant le crâne de la jeune femme qui est fendu et la matière grise mélangée avec du sang s'échappant de l'ouverture. En posant sa main, il entend le freinage brusque d'une voiture sur la route et le bruit sourd du choc entre le véhicule qui percute le poteau sous une note de la mineur. Mais quelque chose semble interroger Aiden qui observe le crâne, comment la victime a-t-elle pu avoir la cervelle à l'air dans cet accident ? Il regarde de plus près et constate que cette blessure est sans aucun doute un coup de hache qui fend un cuir chevelu, fracasse les os, s'enfonce dans la dure-mère, puis dans la gelée grise et visqueuse du lobe occipital.

Aiden entend ce bruit dans sa tête, c'est un bruit mat comme quand on frappe violemment une chose mouillée avec un objet contondant. Il relève sa main du corps et referme la portière avant d'aller ouvrir celle du côté passager afin de fouiller la boîte à gants. Il y trouve un revolver, un python 357 Magnum dont le barillet est vide. Les munitions ne sont pas dans la voiture, Aiden se demande pourquoi une femme se promènerait avec une arme qui n'est pas chargée. Il se gratte la tête et met l'arme dans son sac quand il remarque deux sièges pour enfants sur la banquette arrière, ils sont vides. Aiden regarde autour de lui, il se dit que les deux enfant sont peut-être partis ou alors qu'ils n'étaient pas présents lors de l'accident. Aiden referme la portière et reprend sa route, l'air grave et réfléchi.

Il continue de marcher, suivant la route. Sur le chemin, il voit des maisons encore habitées par des familles qui ferment leurs portes et fenêtre à son passage mais Aiden ne se soucie guère de cela et continue de tracer son chemin.

Il marche toute la journée, s'approchant de plus en plus de la frontière franco-allemande. Épuisé, il remarque une petite maison dans un champ. Il décide d'y aller avant que l'obscurité ne s'installe complètement. Il traverse le champ de terre et s'approche lentement de la maison, les mains en l'air mais constate que la maison semble vide et abandonnée de toute forme de vie. Il arrive sur le perron et ouvre la porte qui n'est pas fermée.

L'intérieur de la maison n'est guère médiocre et est plutôt en bon état. Aiden ferme la porte qu'il bloque avec un meuble et fouille une par une les pièces et trouve trois corps dans une des chambres, chacun un trou dans le front. Mise à part cela, la maison est vide, personne n'est présent. Aiden pose son sac dans la cuisine et sort deux boîtes de choucroute garnie pour les faire chauffer. Il regarde la gazinière qui fonctionne encore, il sourit en pensant qu'il aura enfin un vrai repas depuis une semaine.

Le repas est prêt et Aiden mange seul dans la cuisine. Dehors, il fait un noir complet. Aiden a pris soin de fermer les volets afin de ne pas être repéré. Il mange à grandes bouchées sa choucroute fraîche et boit deux grands verres d'eau. Il finit son repas et place son couvert dans l'évier puis il regarde devant lui et aperçoit une photo de la famille résident dans la maison. Son regard se rempli de stupeur, il arrache la photo et monte les escaliers à toutes jambes jusqu'à la chambre où se trouvent les corps.

Aiden regarde les cadavres et la photo de famille à une époque plus heureuse, tous souriants. Il y a trois corps sur le lit et quatre personnes sur la photo.

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