L'enfer à fond de cale

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L'odeur écoeurante me pousse sans cesse à vomir, mais je tiens mon ventre à deux mains pour m'en empêcher. Je marche lentement derrière mes compagnons enchainés. Ma cousine Kala a le dos zébré de sillons ensanglantés Elle marche la tête haute et je l'imagine en quête d'un plan pour s'échapper. Quand à moi, le souvenir du corps de mon père gisant dans son sang occupe tout mon esprit. Les visages blancs sont arrivés, et tout est allé très vite : des coups de feu ont retentit, et ont réduit à néant notre village et ses habitants. Moi et treize autres, ont été capturés, attachés, battus et avons été trainés jusque devant un gigantesque vaisseau, que les méchants hommes blancs semblent appeler La Marie-Séraphique.

Des centaines de nègres défilent derrière et devant nous et entrent, résignés, dans le navire négrier. Kala tourne la tête. Elle se baisse soudain et ses fines mains passent à travers les menottes. Elle court vite! Mais les visages blancs ont repéré sa fuite et la mettent en joue. Agile comme elle est, elle évite les premiers coups de feu, mais un homme lui bloque le passage et l'assomme avec la crosse de son pistolet. Elle s'affale inconsciente.

Soudain, je suis projetée au sol et sens les cailloux s'enfoncer dans ma chair. Je serre les dents et tente de me relever mais les visages blancs tirent nos chaînes sans pitié. Je sens mon ventre s'ouvrir. Une quinzaine d'entre nous est jetée sans ménagement dans une barque dont ma tête heurte le montant. Péniblement, je parviens à m'asseoir. Une flaque de sang se forme autour de moi : mes blessures sont importantes. J'ai trop mal pour gémir. Le petit bateau avance rapidement sur les vagues jusqu'à La Marie-Séraphique. On me jette alors avec d'autres femmes dans une cale. L'obscurité est quasi totale, mais je discerne un grand nombre de prisonniers. L'odeur et abominable : Un mélange de pourriture, de moisissure, d'humidité, mais surtout, c'est l'odeur du sang.

Cela fait trois jours que nous n'avons rien mangé ni bu. Dix-sept d'entre nous ont déjà fermé les yeux à jamais. Je suis recroquevillée entre deux planches, ma gorge est sèche, mes forces m'abandonnent, je ne tiendrai plus très longtemps. La porte s'ouvre et dans la lumière de l'encadrement, un blanc hurle quelque chose que je ne comprend pas. Mais je me lève comme les autres, tant bien que mal. Ma plaie à l'abdomen ne s'est pas refermée, elle commence à s'infecter. Nous sommes emmenés sur le pont. Je sens d'énormes menottes se refermer autour de mes chevilles. J'aperçois Kala, également enchainée à d'autres victimes de la barbarie blanche. Son visage est boursouflé par les coups et son bras gauche forme un angle bizarre. A nos pieds, des hommes vident des seaux d'eau. Ca va glisser. Au bout de notre chaine est accroché un énorme sac de jute qui semble très lourd. Quand le Blanc s'escrime à le traîner par dessus bord, mes yeux s'agrandissent d'effroi. J'ai compris ce qui nous attend! Au même moment, le sac tombe dans les flots, et à sa suite les pauvres prisonniers dont je fais partie. Mon corps est lacéré par les lames du plancher, je heurte violemment le bastingage et sens mon épaule se disloquer. Je tombe dans l'eau glaciale. Trainée vers le fond, l'eau remplit mes poumons. Puis plus rien. Juste une lumière éblouissante. C'est fini.




Et voila, j'espère que ça vous a plu !

Ciao, 

Lilise

L'enfer à fond de caleWhere stories live. Discover now