Regret d'un Noël passé

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La vie... Je me suis longuement interrogé sur le sens de la vie, de ma vie.... de ma longue vie. Bien souvent, j'ai levé les yeux au ciel en me disant "Pourquoi ?". Ce simple mot hante mon esprit depuis si longtemps. Pourquoi ma vie m'a semblé si terne ? Pourquoi ai-je cette impression qu'il me manque quelque chose ? Pourquoi ai-je fait tant d'erreurs dans ma vie ? Pourquoi...

- Monsieur, vous allez bien ?
La voix de mon chauffeur me sortit de mes songes, je fixais les yeux bleu océan que me renvoyait le rétroviseur. Je lui répondis d'un ton las.
- Je vais au mieux...
Il ne semblait pas satisfait de ma réponse, car il continua.
- Monsieur, je vous connais bien ; quand vous regardez aussi froidement le paysage, c'est que quelque chose vous tracasse. Et vos poings serrés sur votre canne m'indiquent que vous avez des pensées particulièrement déplaisantes, et surtout... Il jeta un rapide regard sur le journal déchiqueté sur mon côté. Est-ce cette journée qui vous déplaît ?
Toujours aussi observateur me dis-je, c'est à la fois une bénédiction et une malédiction de l'avoir comme chauffeur et ami. J'ignore comment, mais il était parvenu à lire en moi comme dans un livre ouvert. Je réfléchis à ses mots et hoche doucement la tête en disant d'une voix sombre.
- Non... Il n'y a pas que cette journée qui me déplaît...
- Alors qu'est-ce qui vous chagrine Monsieur ?
- C'est la vie mon petit... la vie qui me déplaît... Je soupir longuement avant de poursuivre, l'ignorance, l'intolérance, la souffrance, l'arrogance, la haine, la peine, la misère, la jalousie, l'hypocrisie, l'orgueil, la rancœur, la méchanceté, la cruauté... Toutes ces souillures qui empoisonnent les Hommes... Voilà ce qui me déplaît.
Il fut surpris par ma déclaration car je le vis écarquiller les yeux en me jetant un rapide regard inquiet avant de retourner son attention sur la route.
- Vous avez des pensées bien sombres aujourd'hui, je gage que c'est cette journée qui vous rend aussi morose Monsieur.
- Gage ce que tu veux Nathanaël, ta pensée m'importe peu.


J'avais prononcé ce mensonge dans un soupir. Mes mots furent durs mais heureusement entendus. Il ne prononça aucun autre mot, se contentant de me jeter de rapides coups d'œil par intermittence.
Je me rendais bien compte que j'étais à cet instant injuste avec lui. Je sais qu'il s'inquiétait simplement de mon état, qu'il ne souhaite que mon bien. Mais pour l'instant, je suis trop fatigué pour l'écouter davantage.

Le reste du voyage se déroula dans le silence de mort que j'avais provoqué. J'admirais le paysage à travers la vitre de ma voiture. Le décor qui se mouvait devant moi était couvert d'une neige épaisse, les arbres gelés se succédèrent tout comme les voitures colorées que nous croisions.
Mon esprit vagabondait d'une pensée à une autre sans réel but, en les oubliaient aussi rapidement qu'elles étaient apparues. Ce fus quand Nathanaël ouvrit la portière à ma gauche que je me rendis enfin compte que notre voiture se tenait immobile sur le parking. Je pris une profonde inspiration pour me donner un semblant de courage, puis je sortis péniblement de la voiture une rose à la main. Nathanaël me fixait silencieusement tandis que je posais sur mes cheveux blancs mon chapeau et que j'enfilais ma vieille veste. Il referma la porte juste après et resta toujours silencieux à ma suite. J'hésitais à lui adresser quelques mots pour rattraper ma conduite de tout à l'heure, mais je n'en fis rien profitant de son silence, j'avançais ma canne à la main vers ma funeste destination.

*

Je passai le portail de fer rouillé sans lui accorder la moindre attention et fis de même pour les statues qui me fixaient de leurs regards vides. Je marchais sur le sentier d'un pas lent, commun à tous les vieillards. Mon regard dirigé sur le sol fut attiré par les pierres sur lesquelles je marchais et qui me rappelaient douloureusement mon propre état. Couverts par autant de mousse que de fissures, elles étaient bonnes à jeter puis remplacer par des neuves.
Un vent froid vint me transpercer alors dans toute sa fureur, mes vieilles articulations me firent souffrir sous l'assaut mordant du froid et mes mains se mirent à grelotter malgré moi. Maudit froid ! Maudit hiver gelé !! Maudite vieillesse !! Et surtout maudite journée !!! Je pestais intérieurement quand sur mes épaules, je sentis un léger poids et une douce chaleur m'envelopper. Nathanaël plus qu'en chemise me regardait avec tendresse, je serai contre moi son manteau et murmurai reconnaissant.
- Merci...
Il ne répondit que par un sourire avant de m'indiquer la suite du sentier que je suivais lentement, en pensant avec soulagement qu'il ne me tenait point rigueur.

Regret d'un Noël passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant