Le prix de l'amour

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" - Hey, Guren ! "

Ses tympans vibraient, un bourdonnement sourd mais important le dérangeait, son crâne lui faisait mal, affreusement mal.

" - Ohé, Guren ! Tu m'écoutes ? "

Il geint de douleur en se frottant le crâne. Ses doigts, teintés par un liquide poisseux et rougeâtre, se mirent à trembler sous ses yeux. Il avait mal au ventre.

" - Tu pense qu'on l'aura réellement, notre révolution ? "

Il toussota, s'étrangla et l'air se coinça dans sa gorge à n'en plus vouloir sortir. Il suffoquait, il avait mal. Terriblement mal.

" - Guren ! "

Sa main vint se poser sur sa poitrine avec force et violence, ses doigts se crispèrent. Ses dents claquaient, il avait mal. Trop mal.

" - Tu ne m'écoute pas, Guren, ou alors tu n'y crois plus, en notre révolution ? "

Des corps, partout. Ils étaient cinq, cinq corps, étalés, blessés, inertes. Ils l'entouraient, le narguaient. L'un d'eux l'appelait sans cesse. Il avait mal, beaucoup trop mal.

" - Guren ? Pourquoi es-tu si silencieux ? Tu es mort ou quoi ? "

Son coeur le brûlait, l'incendiait. Son corps tout entier se mit à trembler, ses mains agrippèrent le sol goudronné avec violence, ses ongles raclaient la surface chaude et collante du champ de bataille. Il avait mal, et cette voix, cette stupide voix mielleuse qui le narguait, l'interpellait, le caressait ; elle le gênait.

  " - Guren ? Tu en fais, une mine étrange.."

Il se mit à grogner. Il marmonna quelques brèves paroles qu'il fut le seul à entendre.

" - La ferme. "

Cette voix, ce ton presque enfantin, ce timbre singulier, légèrement aiguë. Il ferma les yeux avec puissance. Peut-être que le vide ferait disparaître cette voix et ses moqueries. Peut-être que, avec un peu de chance, il deviendrait aveugle. Il ne voulait plus ouvrir les yeux, plus voir ces corps. Ces cinq corps. Leurs corps. Hors de question qu'il les affronte à nouveau ; il avait si peur, il avait si mal.

" - Hey, Guren ? "

Alors que ses mains relâchaient leur pression sur le sol, il inspira maladroitement, le coeur en miettes. Il se risqua à répondre à ce mirage, à cette voix venue de nulle part.

" - Quoi ? ", susurra-t-il.

" - Regarde le ciel à nouveau. La lune est magnifique, ce soir ! "

Son coeur s'arrêta de battre dans sa poitrine, son sang se figea dans ses veines, sa respiration s'était elle aussi arrêtée, il manqua de s'évanouir. Lentement, silencieusement, machinalement, il obtempéra. Il battit des cils avec pesenteur, fixant un goudron rouge sang sous ses genoux. Il ne prit pas la peine de détailler ses mains, qu'il savait teintées de ce même liquide poisseux. Il releva la tête, paresseusement, contentieusement, ses mouvements étaient rigides et presque mécaniques quand il se figea devant ce spectacle.

Il n'y avait pas de lune dans le ciel. Pas d'étoiles. Pas de distraction. Le ciel était d'un bleu azur, une couleur bien trop claire qui lui violenta la rétine et le fit trembler. Ce fut comme si cette voix n'était apparue que dans l'ultime but de se jouer de lui, de le blesser une nouvelle fois. Il chercha d'abord avec longueur la lune, puis, au fil des secondes, se mit à mouver la tête plus rapidement. Il ne lâchait plus le ciel des yeux ; la lune, il devait voir la lune. Où était-elle ? Etait-elle partie, elle aussi ?

Non, perdre la lune, il ne le pouvait pas. Pas elle aussi.

Dans ses recherches, il baissa bêtement le regard sur le sol devant lui, autour de lui. Il chercha la lune dans le corps de la fille aux cheveux rouges feux devant lui, rien. Il scruta le corps inerte du grand garçon blond à sa droite, rien. Il analysa avec tétanie le visage blanc de la petite brune sur sa gauche, rien. Il glissa les yeux sur les épaules frêles d'une fille aux cheveux noirs corbeaux, rien. Enfin, il se concentra sur des cheveux argentés souillés par-ci et là d'une humeur collante, rien.

OS - Guren IchinoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant