Sous la capuche du détraqueur |Terminée|

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Le dernier cerf disparu dans les fougères tandis que le corps de l'homme s'écrasa lourdement sur le sol. Jessie Hols avait fait des erreurs dans sa vie, certes, mais méritait-il réellement le sort qui l'attendait ? Le quadragénaire leva sa baguette tandis que d'immenses silhouettes noires l'encerclaient. Il était prit au piège. Tremblant comme une feuille, le sorcier déglutit difficilement. Il ferma les yeux un instant, bousculant ses pensées à la recherche d'un souvenirs heureux. Un souvenir...Un rire amer s'échappa de ses lèvres glacées. Si seulement il avait pu en avoir. Mais toute sa vie avait été effacée, comme ça, d'un coup de baguette magique. Un matin, il s'était réveillé dans ce lit froid, entre ces murs blancs, dans ce sinistre hôpital américain. Les Bicornes enchantées était certes un hôpital réputé dans le monde magique, il n'empêche que l'atmosphère aseptisé du lieu le rebutait. Au bout de plusieurs mois, Jessie avait eu l'autorisation de reprendre le cours de sa vie...enfin, dans son cas, de recommencer son existence. On lui avait réappris à contrôler sa magie, à utiliser quelques sortilèges, et on lui avait trouvé un poste de greffier au sein du macusa. Non. Ce sorcier ne méritait vraiment pas que le sort s'acharne ainsi contre lui.

Jessie n'essaya même pas de lutter. A quoi cela aurait-il servi de toute façon ? Le seul sortilège capable de lutter contre ces êtres du néant se basait sur le bonheur absolu. Et de ce qu'il pouvait se souvenir, le seul bonheur absolu qu'il avait connu ces derniers mois avait été la découverte du chocolat noir. L'homme soupira, s'offrant ainsi à un sort pire que la mort, rendant les armes avant même d'essayer de se battre. Il ferma les yeux, serrant les poings afin de camouffler ses tremblements, ignorant les battements effrénés de son coeur qui pulsaient jusque dans ses oreilles, chaque pulsion le rapprochant un peu plus de sa fin. Rapidement, le gèle s'insuna dans ses pores, traversa ses veines comme un poison mortel. Jessie se surprit à ressentir du soulagement. Tout allait bientôt se terminer. Un souffle lui chatouilla le visage tandis que la créature penchait sa tête sur lui. Une main putride effleura doucement sa joue et Jessie eut l'impression qu'un courrant éléctrique lui traversait le corps, le forçant à ouvrir les yeux.

La créature était face à lui. Quelques centimètres séparaient désormais leurs visages, mais Jessie ne discernait que la noirceur à travers le capuchon du détraqueur. Rapidement, ses forces le lâchèrent et doucement, sa main s'ouvrit. Une vieille baguette en bois d'olivier tomba au sol dans un bruit sec, roulant sur quelques mètres avant d'être stoppé par un vieux chènes bicentenaire. Jessie retint son souffle tandis qu'une petite lueur semblait sortir du néant de la créature, se dirigeant doucement vers lui, grandissant au fur et à mesure. Le sorcier perçu un éclat de rire enfantin, bref et tellement doux qu'il sentit son coeur se serrer. Il n'eut toutefois pas le temps de se demander si cela était réel qu'il se retrouva happé dans un tourbillon d'images. Face à lui, une femme riait aux éclats, une petite fille sautait dans les bras d'un homme aux traits joyeux. Une larme roula sur la joue de Jessie tandis que sa mémoire lui revenait. L'accident. Les hurlements. Il les entendait de nouveau. Insoutenables, se mélangeant aux joies qu'il avait devant les yeux. Une jeune femme rousse, resplendissante dans sa robe de mariée, lui souriait. Il avait envie de plonger dans l'image, de s'y lover et ne plus jamais en sortir, mais son corps ne lui répondait pas. Et ce froid, ce froid intense qui lui déchirait les entrailles. L'image se brouilla, tout se mélangeait dans sa tête. Était-ce un rêve ? La réalité ? Il n'avait qu'à tendre la main pour toucher le bonheur, son bonheur, mais il n'y arrivait pas. Une fois de plus, ce dernier lui échappait.

Des noms lui revinrent en mémoire, des bribes de vie qu'il savait avoir été la sienne. Mais à peine Jessie venait-il de réussir à les récupérer qu'ils disparaissaient de nouveau, le brisant une seconde fois. Il chutait, incapable de se raccrocher à quoi que se soit. Deux adolescents se disputant. La statue de Womatou le choisissant, le séparant de son frère. Une jeune fille l'embrassant. La naissance de sa fille. Lumia, Andréa...Lukas... Les paupières de Jessie s'alourdirent, mais l'homme lutta. Il voulait encore les voir. Il voulait les connaître. Les reconnaître. Son frère...Que devenait-il ? Le froid s'intensifia tandis que les souvenirs se faisaient de plus en plus flous. Du sang. Une guerre. Des larmes. Non. Jessie ne voulait pas cela. Il voulait les revoir. Il voulait leurs rires, leurs sourires. Mais déjà, ils lui échappaient, s'enfuyant vers un monde dont il était bannie. Son corps souffrait, mais Jessie ne pouvait esquisser le moindre mouvement. C'était la fin. Bientôt, il ne ressentirait plus rien.

Ses forces le lâchaient tandis que la créature continuait d'aspirer ce qu'il restait de lui. Des larmes avaient gelées sur son visage pâle, mais le détraqueur ne semblait s'en satisfaire. Avide de vie, il lui prenait tout. Tout ce qu'il avait, tout ce qu'il chérissait. Jessie pria pour que tout s'arrête, mais rapidement, son esprit divagua. Il n'avait plus la force. Plus la force de lutter, plus la force de prier, ni même celle de supplier. Il n'avait rien. Son bonheur l'avait quitté, et il ne lui restait désormais que la douleur. Une douleur intenable, insoutenable. Elle lui donnait envie d'hurler, de s'arracher les yeux, de s'arracher le coeur. Mais Jessie ne bougea pas. Et la créature continua, insatiable. Doucement, l'homme sentit la peur, le malheur et la vie le quitter. Tout avait disparu. Qui était-il ? D'où venait-il ? Etait-il vivant ? Qu'était-il ? Son regard vitreux ne voyait plus. Son visage, figé dans une expression de terreur, ne bougeait plus. Seul l'air glacé sortant de sa bouche témoignait de la vie qui continuait de s'écouler doucement en lui.

Le détraqueur se redressa de quelques centimètres, et remonta lentement son bras vers sa capuche. Les doigts putréfiés se refermèrent sur le tissu craquelé et tira doucement dessus. Jessie ne broncha pas tandis qu'une flamme noire se révélait à lui. Une flamme transpercée en son centre d'un trou béant aux contours parfait, profond, insondable. La créature se pencha un peu plus au-dessus du corps inerte de sa victime, jusqu'à pouvoir aspirer sa tête. Dans la gueule du monstre, Jessie pouvait y entendre les hurlements déchirants de ses précédentes victimes. La chaleur qui y régnait l'irradiait, le faisait fondre comme une glace en pleine cagne. Son âme le quittait. Il le sentait. Les dernières bribes de ce qui faisait de lui ce qu'il était s'évaporaient, englouties par ce diable de la nuit. Mais Jessie n'avait pas mal, ou bien il ne s'en rendait pas compte. Personne ne pouvait se sortir du baiser du détraqueur, et le sorcier comprenait maintenant pourquoi. Il était en lui, prisonnier à jamais dans le noir. Les hurlements, la peur, le froid, étaient désormais son lot quotidien. Le baiser du détraqueur ne se contentait pas d'aspirer votre essence vitale. Il ne se contentait pas de vous prendre vos souvenirs, il vous prenait vous. Ne laissant sur son passage que les restes, ce qu'il ne pouvait digérer.

Les dernières gouttes tombèrent tandis que les premiers rayons du soleil éclairèrent les environs. Un cerf traversant rapidement une clairière se stoppa net. Durant plusieurs minutes, il ne bougea pas, fixant de son regard curieux une masse étendue sur le sol. Prudemment, il s'en approcha, le renifla avant de reprendre sa course effrénée. Jessie ne broncha pas. Son regard vide fixait un soleil qu'il ne pouvait voir, les traits de son visage figés dans une grimace d'horreur. Ses muscles tendus donnaient l'illusion qu'il avait été stupéfixé, mais sa poitrine qui se soulevait en rythme régulier prouvait le contraire. Jessie était perdu. Perdu dans un monde que lui seul pouvait voir. Perdu avec ses démons dont il ne pourrait jamais se défaire. Prisonnier de son propre corps dont la seule délivrance serait la mort. Que voyait-il ? Que vivait-il ? Prisonnier entre deux monde. Vivant dans le monde des morts, mort dans le monde des vivants.

Sous la capuche du détraqueurWhere stories live. Discover now