M Y L A
Mardi. Je commence plus tard aujourd'hui. J'ai quelques heures en plus à perdre dans ce temps qui s'étire. Des heures à dormir et à oublier que nos corps sont lourds et parfois trop vivants. Trop conscients.
Roulée en boule dans mon vaste lit, je me replis un peu plus sur moi même, encore un peu dans les vapes. Sous mes yeux, défile encore l'irréalité du matin dans lequel l'esprit se plonge avant de totalement immerger.
Et tout me paraît lointain et inatteignable... Tout est beau dans la tristesse du jour qui s'éveille. Et tout est noir sous mes paupières. Il n'y a pas cette réalité dure, il n'y a pas ta vie qui explose dans chaque seconde de la mienne. Pas tout de suite du moins.
Sous mes yeux en cet instant d'éveil, il n'y a plus que moi. Non ton image. Je m'éveille et tu n'es pas encore là. Ou peut-être que tu l'es inconsciemment ?
Et soudain, une porte s'ouvre, grince et supplie qu'on lui laisse le répit d'un repos éternellement clos. Ma porte. Elle claque violemment en faisant trembler ma tapisserie, qui pleure la violence d'un geste humain si brutal et sonore.
Et j'entends une voix :
-MYLAAAAAAAAAAAAAA DEBOUT ! Je pars dans cinq minutes, la vaisselle est pas faite et la cuisine est DÉGUEULASSE, nom de Dieu du Diable de l'eau du lave-vaisselle inexistant !!!
Je sursaute et me redresse dans mon lit. La couette tombe de mes épaules et le froid s'engouffre dans mon pyjama pour s'enrouler tout contre mon petit cœur battant à tout rompre.
J'ouvre la bouche comme un poisson hors de l'eau qui se débat avec ses pensées floutés.
De mes volets clos le soleil pénètre par raies en faisant éclater ses ombres et sa lumière un peu partout dans ma chambre.
Juste devant moi se tient dans toute sa splendeur, Apolline. Les mains à plat sur ses cuisses. Ses yeux, ces mêmes yeux qui ne cessent jamais de m'observer, me foudroient.
-Bouge-toi ! Papa est parti et je suis à la bourre ! continue-t-elle en s'approchant de mon lit.
Elle retire le drap qui recouvrait encore mes orteils à l'abri, dans ce petit cocon forgé durant la nuit.
-Bonjour ? propose-t-elle, soudain plus calme, vidée juste le temps d'un mot de ses gestes habituels, débordant toujours de vivacité.
Et sa dernière phrase appuie contre mes poumons trempés, qui se noient toujours plus dans une eau invisible. Et le monde m'étouffe. Mes poumons s'imbibent d'eau. Je deviens alors la naufragère de ma propre raison. Survivante brisée de ton acte désespéré.
Je soupire. Avec le temps, j'ai appris à connaître ma soeur. La façon dont Apolline cherche à me provoquer pour faire réagir un semblant d'être en moi.
Je me frotte les yeux et un bâillement silencieux qui n'aspire plus que l'air, étrangle ma gorge. J'attrape, par terre un tas de post-it bleu et un petit crayon bleu. J'écris :
_Salut, j'arrive. Je me réveille et me lève_
Ma soeur lève ses deux sourcils. Ils semblent vouloir toucher le ciel, mais ne font que creuser de petites cavités innofensives sur son front. Enfin, son air persévérant que je connais si bien, vient s'imprimer sur ses traits. Elle hausse les épaules, vaincue une fois de plus.
Dans ce haussement d'épaules, on sent pourtant qu'une bataille à été vaincue... Mais certainement pas la guerre. Pas avec Apolline comme combattante en tout cas.
-Il y a un reste de céréales dans un des tiroirs, par contre y a plus de lait.
Après avoir dit ces mots, Apolline fait demi-tour dans une bourasque de vent.
Ses longs cheveux fouettent ses reins avant de disparaître dans un tourbillon de mèches roses et noires.
Un nouveau bâillement décroche ma mâchoire avec l'espoir de réveiller une bonne fois pour toute ce visage encore froissé par l'oreiller.
Malgré le caractère tempétueux de ma soeur, rongée par ce que tu lui as fait, elle reste ma soeur. Le sang qui lie le mien par un destin quelque peu forcé.
Malgré le temps qu'elle passe à m'oripiler et à me secouer comme si je n'étais qu'un petit pantin désarticulé qui lutte contre sa nature profonde, elle est ma soeur. Cette soeur qui a peur de toi.
Oui. Elle a encore peur, au fond, de cette image qui la hante autant que moi.
Et elle a probablement raison. Après tout, rien n'a disparu avec toi. Tout a juste changé.
Tout a changé et s'est fracturé dans le tableau de famille qui avait été si bien dessiné. Et alors, dans ces fragments restants de tableau, surgit plus fort encore, le lien qui nous unie par le sang et qui fait de nous des soeurs.
Tes sœurs. Que tu n'as pas pris le temps d'observer. À présent, Apolline m'observe et veille à ce qu'un jour je m'éveille et sorte du mutisme dans lequel, sans t'en rendre compte, j'ai sombré.
Je me ralonge dans mon lit, sans ma couverture.
Je ne t'en veux pas tu sais... Pas vraiment.
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L'être de l'Aube
Teen FictionIl s'est tellement voilé la face qu'il ne sais plus ce qu'il est. Il a cherché, encore et encore ce que les autres lui cachaient, mais tellement, qu'il en a oublié de se trouver. Il n'est plus rien qu'une enveloppe vide qui résonne, seule, per...