Coup de théâtre en un seul acte

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Elisa attendait devant le cinéma. Cela faisait trente bonnes minutes qu'elle tournait en rond autour du bâtiment, grattant le gravier avec le bout de ses souliers. Le soleil commençait à décliner et les bars des alentours se vidaient. La jeune fille s'assit sur une des marches du cinéma et posa son gros sac de cours à côté d'elle. Nerveusement, elle relut pour la millionième fois le programme de la soirée. Le film qu'elle allait voir était encerclé avec un feutre rouge indélébile. Un rond parfait minutieusement tracé. Elle vérifia le contenu de son sac, se leva, lissa les pans de sa robe et entra dans le vestibule du cinéma.

Le vigile observa d'un œil torve la jeune lycéenne pénétrer dans l'enceinte du bâtiment. Il se doutait qu'une adolescente fluette, avec de longs cheveux blonds sagement retenus par un simple bandeau, n'était en rien une menace. Cependant, il l'avait vue hésiter avant de rentrer et son instinct professionnel lui soufflait qu'elle allait faire une bêtise digne d'une jeune de son âge. Aller voir un film interdit au moins de dix-huit ans peut-être...

Il lui barra la route d'un air sévère et commanda d'une voix autoritaire :

« - Votre sac mademoiselle. »

Intimidée par l'imposante stature de l'homme, la jeune fille resserra nerveusement son écharpe et s'exécuta aussitôt. Le vigile fouilla le sac à dos pour ne trouver que des livres scolaires et des cahiers légèrement abîmés. Rien d'intéressant mais il espérait que ce petit coup de pression la dissuaderait de faire ses futilités d'adolescente. Il le lui rendit sans un mot.

« - Vous ne fouillez pas la petite poche de devant ? » Demanda timidement Elisa.

« - Pas besoin, je vous fais confiance. » Répondit le vigile avec un sourire paternel et un clin d'œil rieur.

La jeune fille l'imita ingénument et se dirigea vers la caisse pour prendre sa place. L'agent d'accueil, un étudiant énergique, l'accueillit avec une plaisanterie pour la détendre :

« - Bonsoir ! Savez vous quel est le film qui rend le plus séduisant ?

- Heu... Non.

- Rambo ! »

Le caissier explosa de rire. Elisa sourit par politesse et prit rapidement son ticket de cinéma.

Elle s'installa dans un siège de la rangée du milieu et posa son sac en dessous. Le film était un simple vaudeville. Une pièce de théâtre adaptée au cinéma. Un scénario classique. L'amant était littéralement dans le placard.

« - Tu es sorti du placard juste pour moi ?

- Oui ! Mon esprit me disait que notre relation était contre nature mais... Je t'aime Julie »

Le long métrage respectait la sainte trinité des comédies françaises actuelles : humour raciste, homophobe et pédant. C'était jugé bon enfant et caricatural d'après les journaux donc le film était forcément drôle, non ?

Elisa s'ennuyait ferme.

Elle se fit violence pour ne pas quitter la salle avant la fin de la projection. Alors que tout le monde était parti à la fin du générique, elle récupéra son sac. Elle ouvrit la petite poche avant et révéla une bombe.

C'était un explosif simple et économique.

La Mère de Satan, la poudre blanche préférée des djihadistes. Un simple ajout d'acide dans un mélange d'acétone et d'eau oxygénée qui explosera à l'actionnement d'un détonateur.

Elisa plaça la bombe sous le siège, à l'abri des regards, et sortit de la salle.

Elle sourit timidement à l'agent d'accueil qui la salua avec enthousiasme et rentra chez elle.

Elisa n'était pas une terroriste mais une tueuse à gage.

L'endroit placé proche de la mairie et l'utilisation d'un des explosifs connus des djihadistes étaient un plan minutieusement préparé afin de cacher toute trace de son meurtre. Rien de mieux pour dissimuler un mort qu'un massacre. On accuserait les terroristes même pour le rhume qui fait éternuer le président.

Elisa ferma la porte de son appartement et glissa le long du bois usé. Elle alluma une cigarette et souffla en répandant un nuage de fumée. Elle aimait cette odeur de tabac qui remplissait la pièce. Elle se déchaussa puis alluma son ordinateur.

Elle se connecta au site internet « Kit Cruelle ». Un tutoriel en ligne qui explique aux internautes, via des articles à caractère humoristique et des vidéos pédagogiques, comment parvenir à monter leurs meubles ou objets de collection en kit.

En vérité, c'était l'anagramme de « Killer Cute ». Le plus célèbre tueur à gage cyberline du Dark Web.

Pour le contacter, il fallait aller dans la rubrique « Abris de jardin » et produire un message spécifique, afin d'attirer l'attention de ce mystérieux personnage. Elisa arrêta sa souris sur le message de son dernier client en date.

« Kit Cruelle est mon site préféré ! J'espère que vous réglerez mon problème.

Imaginez, le vendeur arrive, vous balance tout comme un porc et s'en va.

Le matériel était abîmé et j'ai beau appeler le magasin on me dit la même chose :

Le problème ne nous concerne plus à partir du moment où vous avez signé le reçu.

Mais le gars était parti tellement vite qu'il ne m'a pas laissé le temps de vérifier le colis. Je ne peux plus vivre comme ça, vous devez m'aider. Le numéro de ma commande est le 1125241144185-131242351212. »

En traduisant les chiffres on trouve ALEXANDRE MAXWELL.

Elisa ne savait pas qui il était, à quelle fille il avait brisé le cœur, ni la raison d'une telle haine contre lui. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'une personne dans le monde numérique avait signé son arrêt de mort et que ce souhait macabre devait se réaliser.

Ses meurtres étaient toujours sobres, efficaces et définitifs.

Elle l'avait suivi sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie. Ses projets pour ce soir était justement d'inviter une fille au cinéma, aller voir le long-métrage français que Elisa venait de subir, et peut-être conclure. Ce qu'il ne fera jamais.

Une horrible démangeaison survint au sommet de son crâne. Elle coinça sa cigarette entre ses dents et alla dans la salle de bain. Aussitôt, elle retira sa perruque et redevint simplement Elie, chômeur sombrant dans l'ennui.

Il ouvrit la fermeture éclair de sa robe et s'extirpa de cette étroite prison de tissu. Les deux paires de chaussettes qui lui servaient de poitrine factice roulèrent sur le sol pour se perdre sous le lavabo.

Elie se passa plusieurs jets d'eau sur le visage pour retirer son maquillage. À présent, ses traits semblaient moins réguliers et son air de petite fille avait complètement disparu. Il écrasa son mégot contre le marbre trempé, sauta sur le lit et enfouit son visage dans les draps.

Au bout de quelques minutes, il actionna un interrupteur et un grondement retentit au loin. Des cris. Des sirènes.

Elie sourit tristement en pensant qu'il pourra payer son loyer.

Coup de théâtre en un seul acteWhere stories live. Discover now