Profondeur des mots

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M Y L A

Je ne cours pas longtemps malheureusement. Parceque le temps m'en empêche. J'ai à peine le temps de prendre une douche que je quitte une nouvelle fois cette maison vide pour rejoindre le lycée Mandela.

S'il y a bien une chose à retenir sur cette petite ville étouffée par ses habitants et sa petitesse, c'est qu'elle compte deux lycées bien distincts.

Mandela et Lovelace.

L'un est privé l'autre non. Et les deux lycées se détestent, pour aucune autre raison que la compétitivité. Quand les deux équipes de sport s'affrontent, s'en est presque périlleux à chaque fois...

Je suis en train de garer Frank dans un coin sombre et de poser un antivol sur lui quand je reçois un message de Gwen. Elle me demande si je peux la rejoindre, elle et ses copines, dans la cour.

Je me gratte le poignet. Je me gratte si fort que des marques blanches viennent zébrer ma peau.

Parfois j'aimerais être un serpent. Je voudrais muer et m'arracher toute cette peau morte qui s'accroche partout sur moi.

Je voudrais être un serpent et avoir le pouvoir de changer ce que je suis. La nature même de ce que les gens voient de moi.

Tout le temps. Je voudrais voir ma peau s'écailler. La voir doucement tomber par terre et dépérir loin de moi. Loin de mon corps déjà tellement abimé. Sans cesse décousu et racommodé. Sans cesse recousu puis à nouveau amoché par tous ces souvenirs... Ces souvenirs de toi qui me hurlent dessus, qui me crient que je n'ai rien fait pour t'aider. Ils grondent et tempèrent parce que je n'ai rien vu... Et que, même quand j'ai cru voir ta raison te déserter, tes émotions chavirer, ta voix se briser, je n'ai rien dit. À personne. Tu étais seule et je t'ai laissée l'être.

Je baisse la tête pour supporter le poids de ma propre honte et décide de ne pas rejoindre Gwen et ses amis.

Alors que je plonge les mains dans ma veste pour que le froid ne les atteignent pas entièrement, quelque chose se froisse dans ma poche. Mon coeur s'embaume et tente de se recoller par lui-même. Un soupire, presque de soulagement, comme si de l'air avait été retrouvé dans les décombres d'un vieux grenier.

Je m'arrête et m'assois à l'entrée du lycée pour pouvoir lire une seconde fois la réponse inespérée de ma lettre.

Je suis encore toute chamboulée qu'il m'ait répondu avec tant de force dans les mots. Avec tant de choses non dites qu'elles finissent pas se dévoiler d'elles-mêmes par de profonds sous-entendus, qui, étrangement me font me sentir moins seule.

-MYLA. Je ne sais pas encore si répondre à ta lettre est une bonne idée... Peut-être que je ne le saurai jamais... Mais je suis lancé alors je poursuis...

Dans ta lettre tu m'as parlé de la beauté des choses qui ne durent qu'un temps...

Je trouve terriblement égoïste (désolé de détruire la belle image que tu t'es inventée, mais tu m'as demandé de dire la vérité) l'idée qu'une chose puisse être éphémère. Je ne veux pas. Je veux que tout dure et s'épanouisse avec le temps sans jamais qu'il s'arrête.

C'est égoïste de s'arrêter. C'est égoïste de mourir. C'est égoïste de tout garder dans ses souvenirs à jamais.

Les souvenirs sont fait pour être pleurer. Je ne veux pas pleurer. Les souvenirs sont fait pour ceux restés bloqués dans le passé. Je veux avancer. Je ne veux pas vivre avec des souvenirs, je veux vivre avec le présent, avec l'avenir qui me tend mes bras !

C'est égoïste de penser que le monde est cruel ! Le monde ne l'est pas, ce sont les humains qui le sont... C'est d'ailleurs sûrement pour ça que j'adore la photographie. Elle maintient l'instant, tel qu'il est, tel qu'il a été au moment où la photo a été prise. Elle n'est pas un souvenir mais une marque réelle d'un passé qui a existé. Et aussi, elle montre la cruauté humaine, l'origine du monstre que l'humain est, elle montre l'humain dans ses actes les plus atroces, les plus vrais.

Ce ne sont pas les choses qui durent le plus longtemps qui sont cruelles, ce sont justement celles qui refuses de durer qui le sont. Par exemple, la paix refuse de durer, elle est là, mais pour un laps de temps compté.

La vie te montre une chose magnifique que tu voudrais ne jamais quitter... Et l'éphémère s'éveille et t'arrache tout, sans se soucier de ce qu'il reste de toi. Elle t'arrache ta fois en l'humanité, en l'espoir, en une paix possible avec toi et le monde. Tu perds tout, et ne revois jamais rien d'autre que ce que tu as gagné en échange de ta perte. Une damnation de ton propre esprit, voir à jamais l'horreur et le dégout.

Myla, tu dis que tu as vu de la colère en moi... Mais tu sais ce que je vois en toi ? Du désespoir. De la torture. D'une certaine manière ces sentiments sont plus violents que les miens. Et tu es incapable de les crier. Moi je peux les beugler comme une tortue qui s'accouple.

Mais toi... Désolé, je sais que c'est blessant de parler des choses qui font mal...

Tu t'es déjà rendu compte que quand tu cries dans ta tête, le volume de ta petite voix intérieure reste le même ? Amusant non ? Non ?

Ok, Ok. Je vais te proposer un moyen de crier... Je propose que tu dises, que tu hurles ce que tu veux sur des bouts de papiers comme cette lettre, comme ta lettre. Je te propose... Une sorte de correspondance entre toi et moi. Parles de ce que tu veux, je parlerai de ce que je veux.

Si l'idée t'intéresse, pose la prochaine lettre entre les pierres du Pont, là où tu as trouvé celle-ci, là où tu as posé la tienne en premier.

Mais n'oublie pas ce que j'ai dit, les choses qui durent le moins longtemps sont les plus cruelles, et nous avons déjà commencé à nous exprimer ensemble sur du papier...

La grande gueule d'Adam-

Je dois dire qu'après la course, cette lettre m'a profondément marquée. Elle me montre une autre façon de voir. Une façon que je ne veux pas voir. Je crois en tes paroles. Adam ne sait pas ce qu'il dit ! Les souvenirs sont les choses les plus importantes quand il ne reste plus rien d'autre. Je préfère les souvenirs sur quoi pleurer qu'une photographie du passé.

Un rire tord mon ventre. Me torture. Me lance des coup de pieds plus violents les uns que les autres.

Les larmes montent. Mon nez me pique. Les frissons de ta perte enserrent mon coeur. La douce mélodie de ta voix me revient.

Un souvenir.

Tout ce qu'il reste de toi.

La beauté.

L'illusion.

Tout ce qu'il reste de toi.

Un souvenir... Je ne veux pas oublier ton visage... Jamais.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant