05 | les crêpes

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05

GABRIEL


MON PÈRE EST BIPOLAIRE. C'est ce que ma mère m'a expliqué dès l'enfance, quand tout allait encore plutôt bien. Ma grande sœur n'avait pas quitté la famille pour s'installer chez nos grands-parents, et tout avait l'air d'aller pour le mieux, à part quelques problèmes financiers de temps en temps.

Il y a deux ans, mon père a eu un accident au travail, le rendant incapable de continuer à travailler dans le domaine qu'il appréciait. Sa vie normale s'est arrêtée ce jour-là, quand le soir-même, durant une dispute, l'agressivité a pris le dessus. Il a frappé ma mère, puis ma sœur quand elle a voulu la défendre. On a tous perdu le sourire ce soir-là et j'ai arrêté de vivre dans des illusions.

Depuis, mon père a pris plus de plus en plus de médocs pour se canaliser. Il avait l'air d'aller mieux, mais au fond il était dans une phase dépressive trop longue à supporter.

Il n'a pas recommencé jusqu'à ce que ma sœur parte vivre ailleurs. Là, tout s'est empiré verbalement et puis c'est ma mère qui a eu besoin d'une pause. Je ne les ai pas suivies, parce que mon père aurait pas pu vivre seul avec lui-même.

Je regarde mon portable au soleil. Devant le lycée, les gens discutent, se racontent leurs week-ends. Les secondes sont plus pétillants que les premières. Les premières sont plus confiants que les autres, tandis que les Terminales s'en battent juste les couilles.

Pauvre écran...

Samedi soir, c'était rien. La télé marchait toujours pas, j'ai pas réussi à l'allumer. Il s'est énervé en me voyant retourner dans ma chambre. C'est là qu'il a pris mon portable sur la table basse pour l'éclater, accompagné de sa tasse de thé. Je l'ai mal regardé en appelant sur le fixe ma mère. Il m'a dit de rester. Je suis resté. J'ai essayé de récupérer les morceaux d'écrans fichus. Sans réfléchir il m'a poussé avec un coup pour pas que je me blesse avec les autres morceaux. Mon père s'est excusé. Je l'ai regardé s'endormir, en attendant qu'il aille mieux, et j'ai soupiré, totalement épuisé.

- Tire pas cette tronche dès le matin mec, lance Grégoire en quittant des pieds son skate.

Sa clope à la bouche, il me la passe pour que je tire une taffe. Une indus'. Bah putain, il est plutôt riche cette semaine.

- T'as acheté un paquet ?

- Non, j'en ai juste gratté pleins à la soirée de Tina.

- Bien joué.

Grég' est mon meilleur ami. Et même si c'est un troufion un peu con, ça reste le gars que j'ai cramé en train de manger ses crottes de nez à la maternelle. Cette vision me fout encore les jetons.

- On entre ? propose-t-il en saluant de loin quelques uns de ses potes.

- Si tu veux.

Et je le suis, parce que c'est ce que je fais depuis toujours. Grégoire a une présence rassurante. Et après tant d'années, je sais qu'il est là et qu'il est un peu un de mes piliers dans ce monde.


***





SAUL PREND BEAUCOUP TROP DE NOTES. C'est inhumain. Je le vois marquer chaque date possible en cours d'histoire. Son cahier est rempli à cracra pendant que je peine à suivre.

- Tu peux me filer tes cours après ? demandé-je en abandonnant toute prise de notes.

Le blond, concentré, sourit.

NOS SMILES BRIDÉSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant