Imbuvable soirée, Imbuvable café

Je remuais doucement mon café et mes idées moroses. L'un comme l'autre était d'une noirceur écœurante qui me donnaient presque des haut-le-cœur. Je fixais cette tasse que l'on m'avait servie. Une bonne tasse de café avait toujours suffi pour éclairer mes journées les plus sombres. L'odeur des graines de café moulé m'emmenait dans des souvenirs d'enfance heureuse. Oui, ce doux breuvage avait toujours su m'apaiser, jusqu'à ce soir. Mon café avait fini par refroidir au point d'être sûrement imbuvable... Imbuvable, me dis-je. Ah ! Comme mon humeur ce soir dirons les autres demain, comme la vie qu'elle a eue avec moi dira ma "bonne femme". Imbuvable, c'est tout à fait le mot pour me décrire ce soir.

- Vive la France ! Vive la France !!

Les éclats de voix de mes "amis" me sortent de mes songes. Je détourne lentement mon regard vers l'autre bout de la pièce, qui à l'inverse d'où je me trouvais était baigné de lumière. Des poivrots sautèrent de leur chaise les renversant au sol. Les différents verres de bière et pastis étaient vidés dans une humeur de fête. Les résistants ont encore fait d'autres victimes boches, c'est ce que j'arrive tout du moins à comprendre entre deux hurlements.

Leur bonheur m'écœurait, me faisait enrager même. Demain l'on dira sûrement que je faisais peur ce soir, à jeter mon regard sur chacun sans dire un mot. Je venais habituellement ici échapper au monde de la haute société. Pour côtoyer des gens plus simples, plus vrais. Mais les voir faire la fête ne m'apportait aucun réconfort ce soir, bien au contraire. Je me sentais trahie par leur bonheur. Personne ne se souciait de mon humeur, de mon malheur. Non, je restais seul avec mon café comme seul compagnie.

Hier, ah ! Si seulement on pouvait être hier. Je serais avec eux, je chanterais avec mes amis, à la main, bière sur pastis, rosé, vodka. Ah ! Je serais au premier rang, à ma place habituelle à côté de la fenêtre et de Roger. Je serais illuminé par le doux éclairage des étoiles et des lampadaires.

Pourtant, nous sommes aujourd'hui, les lumières sont remplacées par l'obscurité qui règne dans les tréfonds du bar, à côté du poussiéreux Juke-box. Mes amis sont remplacés par des visages aussi sombres que le mien. Et surtout la bonne bière dans son verre cristallin à disparue, seul une tasse immonde remplis d'un café noir imbuvable...

- Monsieur, voulez-vous un autre café ?

La voix vient d'une jeune serveuse, nouvelle d'aujourd'hui tient. Je ne l'avais pas vu approcher, sinon j'aurais construit un visage faussement heureux pour lui répondre. Malheureusement, ce ne fut pas le cas et elle dut supporter la noirceur de mon regard ou plutôt de mon humeur. La pauvre choquée avait rebroussé chemin avec un sourire inquiet marmonnant un polit "excusez-moi".

Je n'avais rien fait pour arrêter son geste. Si on avait été hier, je lui aurais présenté toutes les excuses du monde, lui aurait offert un verre qui aurait, je l'espère, conduit à une soirée chaude et merveilleuse. Ma femme ? Pff, elle aurait importé peu de comparer au joli minois de cette petite brune. Elle doit savoir ou au moins se douter des conquêtes que je fais dans ce bar miteux.

Pourtant, elle supportait mes écarts salaces, elle avait intérêt si elle voulait me garder auprès d'elle !! Sans moi, elle serait restée la fille du boulanger, elle aurait peut-être épousé son cousin ou son frère peut-être. Mais pour son plus grand plaisir, elle m'a eu moi et mon argent. Toutes ces conquêtes elle aussi ne venait pas pour l'austérité de mon visage ou pour mon corps semblable à tous les quadragénaires. Non... Elle venait pour mon argent, cherchant à l'arracher de celle qui me servait de femme en agitant leur chair "inutile" devant moi. Et bien entendu ça marchait, jusqu'à hier...

Je frappe la table de rage. Jamais je n'ai autant regretté hier, jamais je n'ai autant souhaité qu'aujourd'hui n'existe pas.

Après mon éclat, je sens l'imbuvable café imbiber mes vêtements de toute sa noirceur.