Mon premier souvenir de cette histoire remonte au 4 Janvier 2017. Nous étions au Saguenay, mes parents et moi, plus précisément chez mes grands-parents pour les vacances d'hiver et pour la fête de ma grand-mère. Mon grand-père m'emmenait au terminus pour que je rejoigne mes parents qui étaient déjà là-bas. Mes grands-parents avaient tenus à me garder encore un peu pour eux avant de faire le voyage Québec-Chicoutimi. Mes parents avaient accepté l'offre ce qui me laissa deux belles heures en compagnie de ceux-ci.
La maison de mes grands-parents était sûrement mon endroit préféré sur Terre. Un chemin terreux d'un bon kilomètre de long à travers la forêt se trouvait à être le seul chemin menant à la chaleureuse demeure. Devant cette dernière reposait un lac tranquille, agité quelques fois par des canards. Mais l'endroit que je préférais le plus était la vieille maison du lac.
Elle trônait seule sur une île au milieu de l'étendue d'eau. J'avais l'habitude d'aller là-bas en nageant les quelque trente mètres la séparant de la berge du lac. La petite cabane, de 160 pieds carrés, ne contenait que deux seules pièces; une cuisine faisant aussi office de chambre et une bibliothèque occupant l'espace restant. J'adorais aller là-bas durant l'été. Prendre un livre, s'asseoir, rester là pendant des heures... mais ça, c'était avant. Depuis trois ans déjà, le petit chalet a été fermé à clé par la ville, qui considérait cet endroit « trop dangereux pour les citoyens ».
Pendant le voyage en auto avec mon grand-père, nous restâmes silencieux. Mon grand-père regardait la route avec un regard triste et un peu perdu. Déjà là, je trouvais ça bizarre de sa part, lui qui était habituellement très blagueur, mais la chose que j'ai trouvé le plus étrange était cette phrase trop simple qu'il me dit juste avant de s'en aller :
-Bon voyage.
Dans son état normal un «au revoir» jovial accompagné d'un jeu de mot à propos des chauffeurs d'autobus auraient été considérés comme normaux, même inintéressant.
Si seulement j'avais pu savoir ce qui allait se passer...
J'allais prendre l'autobus voyageur avec mes parents pour retourner à Québec et recommencer le secondaire comme tous ceux de mon âge. La voiture de mon père était au garage pour réparations donc nous prenions les transports en communs pour se déplacer. Et mon père voulait ABSOLUMENT aller voir sa mère pour sa fête. Ma parente avait tenté de le raisonner en disant qu'en plus des réparations de la voiture, ils devraient payer les billets, mais les arguments de mon père étaient excellents et elle finit par capituler.
Vers 14 heures, nous embarquâmes dans l'autobus, mes parents et moi. Au moment où nous entrâmes dans le transport en commun, nos regards furent attirés par des parents essayant de contrôler un groupe de jeunes sûrement venus à Chicoutimi en camp de jour. Ils devaient tous avoir dans les environs de 12 ou 13 ans, et gesticulaient fortement.
Nous roulions depuis environ deux heures. Mon père profitait du Wifi gratuit sur son ordinateur de travail tandis que ma mère écoutait de la musique sur son MP3. Moi, je lisais pour la troisième fois mon livre préféré. Ça racontait l'histoire d'un garçon de 13 ans et demi qui avait une vie monotone. Les jours se succédaient pour lui comme les gouttes d'eau tombant d'un robinet. En fait, ça ressemblait à peu près à ma vie ces temps-cis; les journées passent sans qu'on s'en rende compte. Peu à peu, les gestes deviennent tous machinaux et on n'a plus conscience de ce que l'on fait.
Après quelques minutes de lecture, je me sentais dévisagé. J'arrêtai ma lecture pour trouver d'où venait cette impression. Je me rendis compte en effet qu'une magnifique paire d'yeux gris-bleu me scrutait de la tête aux pieds. Juste devant moi, une fille de mon âge me regardait comme si j'étais une mère réprimandant son bambin qui avait fait une bêtise. J'étais plutôt mal-à-l'aise donc je retournai à mon livre. Je pense qu'elle comprit mon malaise car quelques minutes plus tard, elle reporta son attention au paysage neigeux, le visage accoté sur la vitre du bus. À mon tour, je regardai les milliers d'arbres enneigés se succédant d'une montagne à l'autre, laissant place à un lac glacé de temps en temps.
Et à ce moment là, j'aurais tout donné pour savoir ce qui allait se produire...
