Chapitre 2

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I've missed you
Let's spend the future talking about the past
How you said goodbye
How I fucked your mind up
We really are something else


Le Wendy's est plus miteux que dans ses souvenirs. Vu le tombeau qu'est devenu le centre-ville, le fait que ce restaurant soit encore ouvert tient quasiment du miracle. Et la misère ne se limite pas à son nouveau quartier ; sur la route, le garçon a aperçu plusieurs visages familiers mendier quelques pièces au milieu de voitures retenues par les feux de circulation. Azura et ses poches vides ont préféré éviter leur regard. Il a baissé la tête, rouge de honte, et a pressé le pas. Les anciens collègues et amis de ses parents n'ont pas cherché à l'accoster de toute façon. Peut-être est-il devenu aussi méconnaissable pour la ville que la ville l'est devenue pour lui.

Il remue sur place, mal à l'aise. Sur le mur adjacent à la banquette sur laquelle il est assis, une blatte zigzague entre les morceaux de peinture écaillée. Azura s'en éloigne avec un frisson pour mieux s'intéresser à l'autre côté de la vitre. Le soleil commence à décliner. Sa lumière dorée scintille à la surface de l'eau. Vu d'ici, le phare planté au sommet de la côte dégage une aura presque mystique. Ce serait presque beau, si ce n'était pas Sunnyside.

Azura s'arrache à sa contemplation quand un milk-shake vient s'écraser sur la table en alu. Il tripote sa paille en silence pendant que Gaël s'installe en face de lui. Son parapluie fermé goutte sur le carrelage. La quadragénaire du comptoir n'a pas l'air de s'en préoccuper. Elle regarde par la fenêtre droit devant elle, le poing serré sous le menton d'une façon qui lui rappelle Holly. À part eux, son seul client est un homme à la chevelure grasse et à la casquette si profondément enfoncée sur le nez qu'Azura n'a pas vu ses yeux.

Gaël le dévisage, muet, les lèvres pincées autour de la paille de son milk-shake. Ses cheveux marron chaud, décoiffés par le vent, tombent sans vie sur ses paupières, et de la poche de sa poitrine dépasse une petite fleur écrasée. Azura aimerait faire le premier pas sans savoir comment. Par où commencer. Tant de choses ont pu arriver en quatre ans et, pour l'instant, les seuls mots que Gaël ait eu à son égard sont bordel de ta pute et retrouve-moi au Wendy's tout à l'heure. C'est complètement surréaliste.


« Je sais pas si je devrais te buter ou t'embrasser, dit Gaël après avoir quasiment broyé sa paille. La dernière fois qu'on s'est embrassés t'as fui à l'autre bout de l'état.

– T'as plus qu'à me buter, alors.

– J'y pense. »


Il libère une mèche de cheveux de sa bouche sans avoir l'air de plaisanter. Azura soupire.


« Tu sais très bien que c'est pas pour ça que je suis parti. C'est ...

– Non, je sais pas. Je sais rien. T'as disparu et fait le mort pendant quatre ans. Pas une visite, pas une lettre. J'ai appris que tes parents avaient divorcé et déménagé deux mois après parce que j'ai rencontré ta tante par hasard.

– Tu connais Holly ?

– Non. C'est la seule fois où elle m'a adressé la parole. »


Sa paille, qui pile son dessert depuis tout à l'heure, s'immobilise au fond de son verre. Gaël ferme les yeux et se masse le front. Il a l'air ... mal. Plus pâle, en tout cas, que dans ses souvenirs.


« Ça va ? » s'inquiète Azura.


L'Envol du Corbeau [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant