F*ck it List

Chapitre 35

n°8: marcher sur les plates-bandes de Madison:

Comme souvent, les mots de Luc ont eu le mérite de me faire réfléchir. A vrai dire, j'y ai pensé toute la matinée. Si je n'ai pas plus de réponse que j'en avais avant le début des cours, je suis néanmoins arrivée à une conclusion. 

Il m'est impossible d'être certaine de ce que je ressens, puisque, jusque là, j'étais ensevelie sous le doute. Je pense donc, qu'avant de remettre en cause toute notre relation, il faut que je lui laisse le temps d'exister vraiment. Sans que mes inquiétudes et ma peur ne viennent tout parasiter.

C'est donc le coeur plus léger que je quitte le cours d'histoire, le dernier de la matinée, et que je me dirige vers le parking où m'attend Luc, pris lui aussi, d'une envie intense de sandwich supplément fromage et graisse transgénique. Aussi, quand je sens une main me retenir le bras, alors que j'allais franchir la porte du lycée, je ne peux réprimer le grognement sourd qui s'échappe de ma gorge. J'espère que celui qui m'empêche d'avaler mon poids en bacon a une bonne raison de le faire, sans quoi, je ne donne pas cher de sa peau. 

Mais quand je tourne la tête pour tomber sur une Marisa toute gênée, je me radoucis un peu et lui demande ce qu'elle me veut, aussi gentiment que mon estomac contrarié me le permet. La petite brune se ratatine sous mon regard, comme si j'allais lui sauter à la gorge et aussitôt l'image de Madison envoyant paître le premier badaud qui viendrait lui adresser la parole m'apparaît. Hors de question de donner l'impression d'être faite du même bois que cette peste. J'étire mes lèvres en un sourire un peu crispé et incite, d'un mouvement de tête qui se veut encourageant, Marisa à me dire qui l'amène. Elle rougit, bafouille quelques mots que je ne comprend pas, puis fourre dans ma main un papier avant de s'enfuir à grandes enjambées. Je crois l'entendre me dire, par dessus son épaule "Ne m'en veux pas, mais je t'ai inscrite", alors qu'elle s'éloigne. 

Prête à faire volte face pour la rattraper, je me fais rappeler à l'ordre par un coup de klaxon provenant de la sortie du parking. Luc me lance un regard noir depuis le siège conducteur de son bolide et fait ronronner le moteur pour me faire comprendre son impatience. Résignée, j'enfonce le papier mystère dans la poche arrière de mon jean et cours rejoindre mon ami affamé.

Vue la quantité de sucrerie que j'ai consommé dans la matinée, je ne peux pas réellement dire que j'ai faim. Pourtant quand Luc rapporte le plateau plein de frites et de hamburgers, j'en salive d'avance.
Occupée à répartir trois sachets de mayonnaise sur les différents emballages, je ne remarque pas tout de suite que mon ami me fixe. Pourtant, au bout d'un certain temps, le poids de son regard sur moi me force à relever le nez.
- Quoi ? je demande distraitement en léchant les quelques gouttes de mayonnaise que j'ai sur les doigts.
- Tu as réfléchi à propos de Shawn ? me lâche-t-il, à brûle pour point.

Un peu surprise, je me sens rougir quand je lui répond :
- En fait, oui. Beaucoup, à vrai dire. J'ai pas mal repensé à ce que tu m'as dit...

Il semble suspendu à mes lèvres, comme s'il attendait que je prononce certains mots bien précis.
- Et tu as raison. L'important, c'est ce que je ressens pour lui. Et comme je doute tellement, c'est compliqué de savoir où j'en suis.

Il hoche la tête, un petit sourire aux lèvres mais ne dit rien.
- Donc, je pense qu'il faut qu'on se laisse le temps de se donner une vraie chance, je conclue, tout sourire, avant d'enfourner une poignée de frites dans ma bouche.

Mais à en juger par la mine de mon ami, les mots qui ont franchis mes lèvres ne sont pas ceux qu'il attendait.

- Mmh, t'as raison, souffle-t-il en hochant la tête d'un air absent.

J'ai l'impression que quelque chose m'échappe, mais impossible de mettre le doigt dessus. Luc ne dit plus rien, le nez plongé dans sa moitié de plateau, même son téléphone qui vibre devant lui ne parvient à le distraire que quelques secondes. Il jette un oeil à l'écran, grommelle, soupire puis repose l'appareil, la face vitrée contre la table. Étrange.