Douleur marquée

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M Y L A

Où était-elle quand je hurlais ton nom jusqu'à ce que mes cordes vocales se déchirent ?

Où était-elle quand le monde a tenté vainement de redémarrer ?

Où ?

Où était-elle encore toutes ces nuits froides ? Dans ce lit froid où la vie était suspendue l'espace d'un instant. Moi et mon corps désarticulé ?

Elle est partie.

Ma propre mère a fuit son devoir familial en nous laissant. Mon père, dévasté et divorcé. Ma soeur Apolline, douloureuse, prisonnière de son monde ruiné. Et moi, silencieuse dans mes notes brisées.

Elle ne pouvait plus supporter le poids de nous trois. Elle a donc tout quitté pour se reconstruire une nouvelle famille. Ailleurs. Une famille plus normale, où les problèmes s'éloignent. Là où ils ne restent jamais indéfiniment.

Que peut-elle donc bien faire chez nous à présent ? Elle qui depuis bien un an n'a jamais remit un seul pied ici ?

En cet instant, je rêverai d'enfoncer les longs écouteurs noirs dans mes oreilles, mettre au maximum la musique et ne plus être capable d'entendre qu'elle. Qu'elle et encore elle qui me bloque la réalité en me faisant voyager, éveillée, dans le monde du classicisme, romantisme, baroque... Et que sais-je d'autre encore !?

Le Do résonne dans mes tympans et me libère un merveilleux sentiment de satisfaction. Les notes s'enchaînent simplement.

Do, Mi, Ré, Fa, La, Mi, La.

Je les entends, sans même qu'elles existent réellement, se déchaîner et juste vivre alors qu'elles n'ont encore jamais existées. Et soudain je les visionne. Je le visionne ! Cet instrument... Ces cordes tant de fois grattées. Ces notes tant de fois composées. Ce bois que je connaissais si bien. Cet archet utilisé encore et encore. Ces doigts bougeant avec la grâce de l'habitude ! Et les sons se poursuivent. La mélodie s'exprime. Les doigts invisibles bougent dans mon esprit.

Et ce que je vois se transforme en douleur, en un manque que j'ai cru avoir comblé en courant mais qui ne le remplace pas même un peu. Un manque cruel qui vit depuis que toi tu ne peux plus vivre.

Je voudrais également partir en courant, en claquant la porte et en m'enfouissant toute entière, sous au moins un kilomètre de couverture. Je ne veux plus être visible au réel.

Je veux me cacher de cette femme qui se prend toujours pour ma mère, même après sa longue absence qui m'a brisé et détruite. Cette absence même qui n'a fait qu'empirer ta propre disparition.

Je n'en peux plus. Je ne peux pas.

Trop. De. Douleur. Trop.

Mes yeux brûlent, ils veulent pleurer à nouveau mais je leur en interdit. Pas devant elle.

Pas. Devant. Elle. Elle se lève pour me rejoindre. Pour me serrer dans ses bras. Son sourire est parfait, il resplendit d'un bonheur présent. La joie immense d'enfin me retrouver se marque sur ses traits, me donne la nausée.

-Je suis si heureuse de te revoir, Myla ! Tu as tellement changé !

Elle avance dans ma direction, ses courts cheveux se battant avec la gravité, volant dans une liberté frivole.

Et je ne peux pas. Mes yeux se posent sur mon père qui a le regard planté sur elle. Puis ma sœur, qui tente un sourire pathétique.

Ma sœur. Ma propre soeur qui m'a trahi, qui a fait revenir dans notre réalité quotidienne... Cette mère qui nous a tous laissé dans le malheur.

Alors, je recule, le menton tremblant contre les larmes. Et je pars en courant dans ma chambre en entendant derrière moi Apolline crier :

-Myla ! Reviens !

Mais personne ne tente de m'arrêter. Mon corps est secoué, découpé en mille morceaux, plié en quatre et détruit.

J'arrive dans ma chambre dans un coup de vent. Les papiers accrochés au mur tremblent avant de s'immobiliser.

J'ai envie d'hurler, de me débattre, de... De... De tout casser autour de moi comme tout est cassé en moi.

Je veux que... Que... Que le monde me reflète.

J'attrape le post-it sur lequel est inscrit la phrase contenant le mot maman et je le déchire.

En deux. En quatre. En huit. En seize. J'ai l'impression de déchirer une partie de moi que je pensais avoir effacé.

Je prends tout le bloc de post it orange et je les décollent un par un. Et je les arrache pour qu'ils ne ressemblent plus à rien.

L'être de l'AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant