Chapitre 48 - La face cachée de la Lune

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Le désormais fort coutumier cliquetis métallique se fit entendre et la porte s'entrouvrit, alors que Thomas Marx soupirait de satisfaction, avec un sourire en coin qui traduisait sa fierté de long en large.

Céleste balança ses pieds au-dessus du rebord et fit basculer son bassin pour se retrouver totalement à l'air libre. La petite équipe souffla de soulagement en humant profondément l'air extérieur. Ils s'assirent inconfortablement sur les tuiles, éreintés par leur lente et interminable montée, parcourue d'échelles et de marches cassées. En contournant le quartier par les catacombes, sous la ville, ils étaient parvenus à esquiver habilement leurs cauchemars qui sévissaient toujours dans l'arrondissement sud, arpentant les boulevards avec avidité et soif de sang et de vengeance, encore affamés et loin d'être repus. Justine avait repris quelques couleurs après avoir quitté l'afflux de squelettes reposant pêle-mêle dans les souterrains de la cité de nacre. Bien que la population nocturne l'ignorât, sous son enveloppe luisante s'effritait une couche de suie infâme, bien plus répugnante que ce que l'on aurait pu imaginer. Les Magiciens cachaient bien leur jeu, jusqu'à présent. Mais l'adolescente était bien décidée à dévoiler le revers de la médaille au grand jour.

Elle se leva, en équilibre à trente mètres au-dessus du sol, et scruta la nuit noire et dense, plus épaisse qu'un brouillard montagnard ou qu'un blizzard de passage, plus sombre que la face cachée de la Lune, et plus sombre en général que n'importe quelle nuit nocturne. Il y avait là une obscurité irréelle, presque industrielle, comme si le soir lui-même était artificiel. Ce qui, par ailleurs, expliquerait bien des choses, comme par exemple le soleil tapant ayant précédé leur entrée dans la cité, bien vite relégué à une Lune nouvelle et presque inexistante. Aucun habitant n'arpentait les ruelles, ne se rassasiait dans un bar, ne s'abandonnait au plaisir du shopping dans un quelconque magasin. En fait, le commerce lui-même semblait inexistant dans cet univers hors du temps, dans cette ville désertée depuis belle lurette, hantée et abandonnée. Il n'y avait plus rien de la renommée capitale croulant sous la lumière et la beauté, au commerce florissant, aux habitants croissants qui explosaient les grands boulevards, aux torrents inépuisables et inavouables de richesse abondantes, il n'y avait plus rien d'autre qu'une ville morte.

Au loin, elle aperçut l'objet de leur venue, de leur envol dans les hauteurs, le bijou si convoité ; autrement dit, le Palais d'Opale. La demeure des Magiciens, des Trois Stellæ, la forteresse imprenable... Il n'existait rien de mieux pour faire office de prison, aucun autre endroit ne pouvait se trouver plus qualifié pour y détenir des prisonniers potentiellement dangereux. Deux paires de gamins n'avaient rien de potentiellement dangereux, non. Mais la véritable menace se trouvait au-dehors, venant de l'extérieur ; l'enjeu qu'ils représentaient ferait à jamais défaillir la puissance des gouverneurs nocturnes s'ils venaient à y être exposés, et l'instabilité qui s'installerait alors ferait faillir toute la société de l'époque, et s'écrouler la monarchie qui se voulait démocratique, mais qui n'était rien d'autre qu'un bizutage sans nom, une jolie brochette de despotes non-éclairés qui éliminaient radicalement le premier qui s'opposait à leurs idéaux.

En somme, le Palais d'Opale était la copie conforme de Versailles où de la Bastille, en bien plus imposant et
luxuriant, — ce qui tombait bien, d'ailleurs, car nous étions le quatorze juillet — , ainsi que la définition exacte d'une forteresse et d'une destination finale. Elle était là, la fin du voyage, l'apogée de leur aventure, et l'instant décisif qui serait la clef de tout leur avenir reposait désormais entre les mains de nos héros qui, avouons-le, avait l'air particulièrement inoffensifs et bien loin de l'image d'une armée menaçante. Mais le secret d'un bon cocktail ne réside pas dans la quantité d'aliments, mais dans la qualité de ceux que l'on ajoute, ne l'oubliez jamais. Cela pourrait changer bien des choses, comme votre vision de la vie, et votre perception de l'héroïsme.

Le syndrome des cœurs de pierre I - PupilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant