Lundi, 8h03. J'attendais à la gare, un téléphone scotché à l'oreille pour parler avec une auteure dont j'étais responsable et une liasse de papiers dans mon autre main. « Oui, oui... Comme je vous le disais, une telle conclusion dans votre histoire ne convient pas ! Comment voulez-vous que Jisoo et Momo se réconcilient alors que l'une à faillit la tuer ? Rappelez-vous comment vos lecteurs ont réagi lorsque vous ne m'aviez pas écoutée !»
Je soupire. Mon travail d'éditrice en chef me convient parfaitement ! Mais parfois le quotidien parvient à m'agacer. Le train, que je supposais distraitement être le mien, parvient à la gare, je monte dedans sans prêter attention aux alentours.
« Mme Roux ? Mme Roux !»
Ça alors ! La ligne s'était soudainement coupée lorsque le train passait sous le tunnel. Soupirant, je ferme les yeux, me laissant emportée dans les bras de Morphée. Quelle importance ? Je la rappellerai plus tard.
C'était un printemps, j'avais troqué ma lourde écharpe contre un léger foulard (frileuse que j'étais, on n'est jamais trop prudent). Je regardais avec mon faux air désintéressée le quai d'en face et il était là. Ce garçon, de mon âge probablement, était encore adossé à cette colonne en face de moi, les écouteurs vissés aux oreilles. Mais écoutait-il vraiment de la musique ?
Cela faisait quatre ans qu'il rythmait mon quotidien chaque matin, jamais malade mais parfois en retard. De lui je ne savais rien. Ni son âge, ni son nom et je ne connaissais même pas le ton de sa voix. Je savais juste qu'un jour, lorsque mon moral était au plus bas, nos regards s'étaient croisés et... Il m'avait souri. Cela pouvait paraître futile ! Mais dans cette vie où personne ne se soucie des gens que l'on voit tous les jours prendre le train en même temps, ça réchauffe le cœur.
Ce jour-là m'a marqué car il avait changé ses vielles baskets usées par une paire un peu moins abîmée, malheureusement elles n'allaient pas survivre longtemps ! De loin, il avait l'air d'être assez beau. Des cheveux noir corbeau longs mais pas trop, une belle taille élancée, et on pouvait deviner quelque muscle depuis un an. Je pourrais dire qu'il me plaisait bien. Mais voilà, il cachait ses yeux derrière une frange sous sa capuche. Je trouvais ça vraiment dommage ! Les yeux sont le miroir de l'âme... Quand me laissera-t-il apercevoir la sienne ? Un jour, peut-être, me disais-je.
Mardi, 13h45. La pause de midi était terminée depuis un quart d'heure, mais je n'arrive toujours pas à me concentrer. Le sandwich au thon ne m'a sûrement pas suffi malgré la pomme et ma dose de caféine journalière !
Assise dans ma chaise de bureau, je refais une rétrospective de « mes années folles ».
Le train. Ou devrais-je dire ce gros tas de ferraille jamais assez pleins les heures de pointes ! Petite et timide que j'étais, je n'étais qu'un vulgaire caillou solitaire devant cette horde de pendulaires stressés chaque matin ! Bousculée par-ci, poussée par-là, je devais toujours me dépêcher de me mettre à l'abris au moment d'entrer ou de sortir du train ! Je suis sûre que le garçon d'en face n'avait jamais ce genre de problème.
Je me souviens d'un jour m'être assise non loin de premières années bruyantes, en face d'une femme respectable, au look strict comme dans les films. Apparemment ce n'était pas son jour, elle se retenait d'hurler contre son interlocuteur, regardant froidement les trois adolescentes se racontant leur week-end de folie. Malgré ma volonté de ne pas écouter leurs affaires, j'entendis des courtes parties de leur échange.
« ... Et avec mon copain ont a décidé de faire un tour dehors vers minuit. Oh les filles ! Comme c'était romantique ! On a vu une pluie de météorites ! »
« C'est fini entre nous Dave, est-ce que tu comprends ?! »
Deux situations complètement différentes. Je voyais là deux générations opposées. Perturbée, je tournai la tête et je tombai née à né avec le regard de mon inconnu - enfin ! - encore sur le quai. Ses yeux marrons sombres semblaient regarder très loin en moi et j'en fus gênée. À quoi pensait-il ce jour-là ? « Un jour, peut-être, je lui demanderai. » me disais-je.
Mercredi, 9h37. Je suis en retard pour la première fois depuis que j'ai commencé à travailler. C'est dingue ! J'ai juste fait ce rêve cette nuit qui m'a complètement désarçonnée. C'est vrai... Je me suis souvent demandée comment je serais aujourd'hui si j'avais adressé la parole à ce garçon avant qu'il disparaisse ? « Un jour, peut-être » cette phrase était mon moyen de toujours repousser le délai. Et si...Et s'il attendait que je lui parle, lui aussi ? Depuis le début...
« Rose ! Vous ? En retard ? Est-ce qu'il va bientôt neiger ?
- Cessez de m'importuner James, j'ai mieux à faire aujourd'hui. »
James est éditeur adjoint. Il souhaitait prendre le poste de l'ancien éditeur en chef, mais lors d'un accrochage entre eux, ce poste m'a été remis. Je crois que je lui ai fait sa journée avec mon retard ! Mais je ne dois pas me laisser emporter par la colère. Cela se comprend en fin de compte ! Il est arrivé deux ans avant moi, et je lui ai pris sa place. Heureusement pour moi, l'ensemble de l'équipe de ne l'appréciait pas temps que ça.
Je me pose à mon bureau, multipliant les appels et les emails. Quelle gourde je suis ! La dead-line est pour vendredi bon sang !
Jeudi, 16h30. Heureusement qu'il fait frais ! En été, je sature déjà à cette heure-ci. Mme Roux m'a envoyé son texte, elle tenait tellement à réconcilier ses deux protagonistes qu'elle m'a bâclé la fin. Je réfléchis depuis tout à l'heure à comment lui redonner du courage tout en restant strictement professionnelle. Elle a beaucoup de talent quand elle est motivée ! Mais elle est trop sensible envers ses personnages. Elle est en train de terminer sa première trilogie, déjà à succès, ce doit être phénoménal !
Je ferme les yeux, adossée à mon siège et me masse les tempes. Réfléchir, je dois réfléchir. Malgré moi, me voilà replongée dans mon passé...
Ce jour restera à jamais gravé dans ma mémoire : J'ai réalisé qu'il ne reviendra plus jamais.
Trois mois venaient de s'écouler depuis la rentrée, et mon inconnu, mon rayon de soleil du matin, ne s'était toujours pas montré. Je me sentais vide, la joie anticipée tout ce temps m'avait laissé un trou béant, sans rien d'autre que de la tristesse...et du regret. Je ne lui ai pas adressé la parole une seule fois, en quatre ans ! J'en avais eu l'occasion le dernier jour avant les vacances, mon train avait changé de voie et il n'avait pas lu les indications. Pendant trois petites minutes, il était juste à côté de moi ! Mais je n'ai rien fait.
Un jour, peut-être ? Ma parole... C'était ce jour-là !
Vendredi, 23h26. Je suis exténuée. Amélie Roux m'a fait une peur bleue ! J'ai attendu si longtemps au bureau pour recevoir son email et classer cette affaire... mais elle l'a fait ! Elle m'a pondu le meilleur dernier chapitre depuis ses débuts. Je ne sais plus quelle bafouille j'ai faite hier, mais elle a repris du poil de la bête, et j'en attendais beaucoup. Je suis satisfaite. Son livre sera publié dans quelques semaines.
Je combats le sommeil dans le train du retour, il y a peu de monde et tant mieux !
Mon tas de ferraille familier s'arrête encore une fois pour prendre des passagers. Un homme, de mon âge probablement, s'assied en face de moi. Il a des écouteurs vissés au oreilles, mais écoute-t-il vraiment quelque chose ? Son smoking et sa mallette le rendent vraiment sophistiqué ! Mais ne dit-on pas que l'habit ne fait pas le moine ? Gardant mon air désintéressé, mais surtout fatiguée, je regarde par la vitre. Nous passons actuellement dans la campagne, où les champs sont remplis de tournesols. Levant un peu plus les yeux, je remarque le ciel étoilé et me redresse subitement au passage d'une étoile filante : Je n'en avais jamais vu. Alors je souhaite de tout mon cœur : J'aimerais, ne serait-ce qu'une fois, le revoir ... ! J'en ai besoin, pour être enfin tranquille.
Comme je suis sûrement stupide aux yeux de cet homme, je me décide à le regarder droit dans les yeux, prête à me justifier. Je croise alors subitement son regard, ses yeux marrons sombres, semblant déceler quelque chose en moi. À quoi pense-t-il ? J'aimerais bien...?
Quoique, je vois. Un air malicieux s'empare de mes traits tandis qu'il retire ses écouteurs.« Nous sommes nous déjà rencontrés ? me demande-t-il d'une voix grave, un sourire faisant naître de adorables focettes,
- Un jour, peut-être... »
END ?

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Un jour, peut-être.
Truyện Ngắn"Je regardais avec mon faux air désintéressée le quai d'en face et il était là. Ce garçon, de mon âge probablement, était encore adossé à cette colonne en face de moi, les écouteurs vissés aux oreilles. Mais écoutait-il vraiment de la musique ?" ...