Yuya resta bouche-bée. Elle le prenait vraiment pour disciple ? Mais pourtant, elle lui avait dit que... Il réalisa soudainement que tous les visages étaient rivés sur lui. Moira, le prince de Madras, Mastani, le vieux Hong et un ivrogne attablé de l'autre côté du comptoir.
—Tu... tu es son disciple, toi ? demanda Moira en riant à moitié.
Elle n'arrivait pas à y croire.
Yuya baissa les yeux. A cet instant, il ne sentait plus que la pression du regard de Mastani sur lui. Il acquiesça énergiquement.
—Oui, c'est mon maître.
Moira eut un mouvement de recul. Elle était réellement surprise. Les métamorphes étaient rares, et c'était généralement des sorciers âgés du nord de l'Eurasie qui maîtrisaient bien ces techniques.
Or, elle avait sous les yeux un petit insulaire qui avait à peine atteint la majorité. Il lui fallut quelques secondes avant de ressaisir, au bout desquels elle reprit son air dédaigneux.
—Tu m'as l'air encore jeune. Tu ferais mieux de continuer l'école si tu as des dons de métamorphose. Ne perds pas ton temps avec un déchet comme elle, tu n'apprendras rien.
Sur ces mots et un dernier regard foudroyant pour Mastani, elle sortir du restaurant. Gillas le prince de Madras, si princier fut-il, fit une accolade rapide à Yuya et lui dit en souriant :
—Bien joué petit, la tienne a plus de nibards que la mienne.
—Malhahoa, dépêchez-vous ! cria l'invocatrice depuis la rue.
Le disciple lança un dernier coup d'œil aux courbes de Mastani qui le gratifia d'un doigt d'honneur et d'un sourire froid.
Il sortit précipitamment et le restaurant repris son ambiance normale, chaude, étouffante et humide. Yuya se rassit avec ses deux verres de thé qu'il tenait toujours. Mastani en prit un et trinqua rapidement avant de le vider d'une traite.
—Merci d'avoir menti, déclara-t-elle.
—C'était... la moindre des choses, murmura Yuya, encore tendu par cette rencontre désagréable.
—Tu es peut-être un intello, mais tu sais mentir et tu as assez de jugeote pour le faire au bon moment. Tu feras un bon disciple.
Il releva la tête brusquement.
—Quoi, ce n'étais pas un mensonge ? Vous me prenez réellement ?
—Je l'ai dit. Je vois déjà tout le travail que tu vas demander, tous les ennuis que tu vas apporter, mais bon. Je n'ai pas vraiment le choix... Je vais devoir m'occuper de toi maintenant...
—Mer... merci, maître ! dit-il en exultant.
Il essaya de boire son thé mais s'étouffa avec tellement il était excité. Il se mit à manger tout le riz, les légumes et les boulettes qui restaient devant lui avec l'intention sincère de faire bonne impression à son maître.
Le vieux Hong s'approcha en rongeant sa pique à boulettes.
—Quoi, vous n'allez pas devenir maître et disciple comme ça, ça ne se fait pas.
—De quoi je me mêle, Hong, lança Mastani.
—Il faut sceller votre rapport de 師徒 « maître-élève » comme dans l'Ancien Monde. Il faut boire et réciter le serment.
Mastani poussa un soupir ennuyé et regarda le jeune homme face à elle dont les yeux brillaient d'émerveillement. Il avait encore du riz sur le coin des lèvres quand il avait relevé la tête, comme un petit garçon. Le serment du disciple était réservé pour les étudiants de quatrième année dans le cursus scolaire, trouver un maître pour commencer son apprentissage était la grande étape à laquelle pensaient tous les troisièmes années. La sorcière soupira à nouveau, face à l'entrain de son élève.
—Je suppose que tu as raison. Tu as du 白酒 (baijiu) ?
—De l'alcool blanc ? C'est une blague Mastani ! Ton premier élève ! Allez donc au 金秋廳, le Palais de l'Automne d'Or. Il vous faut un bon alcool pour célébrer ça !
—Tu exagères, Hong, c'est juste-
Le cuisinier sortit un billet de sa poche et le déposa sur le comptoir.
—Allez vous prendre une bouteille de saké d'Outremer pour moi.
Les yeux de Yuya passèrent de Mastani au vieux Hong une dizaine de fois en quelques secondes. C'est un billet de cinq cent. Il y avait de quoi acheter du saké haut de gamme et prendre un deuxième dîner. En voyant le billet, Mastani prit un air détaché, mais elle le saisit et le mit immédiatement dans sa poche.
—C'est bien parce que c'est toi, Hong.
—Et n'oublies pas ma monnaie, vieille renarde.
—Tu as fini tes 章魚燒, Yuya ? Allons-y, c'est vrai que j'ai la gorge sèche.
Le jeune homme posa ses baguettes à côté de son bol de riz et s'essuya la bouche de sa manche. Il se leva et s'inclina avec rigidité devant le cuisinier.
—Merci patron, c'était délicieux.
—Qu'est-ce qu'il est bien éduqué, ton élève, Mastani. Et puis il a un visage un peu féminin, tu ne trouves pas qu'il est joli ?
Mastani ne répondit pas, elle s'était déjà levée et se dirigeait vers la sortie. Yuya se dépêcha de la suivre en rougissant. Il entendit le cuisinier se moquer de son embarras alors qu'il refermait la porte derrière lui.
Il se retrouva alors seul avec Mastani, dans la rue déserte où les étales commençaient à se remplir. Elle l'attendait devant sa moto, la tête levée vers les grandes lignes d'autoroutes qui passaient au-dessus de la ville, zébrant le ciel sans étoiles de lueurs bleues. Il trouva cela soudainement gênant. Il était seul avec elle et n'avait rien à lui dire. Il se demanda ce qu'il attendait sans vraiment trouver.
—Donc... Nous allons au 金秋廳 ?
—Tu blagues ? Première leçon, toujours penser à l'économie. Avec ce que Hong nous a laissé, on a de quoi se payer une cuite dans n'importe quel bar miteux du centre-ville, dit-elle avec un rictus d'envie. J'ai entendu parler d'un endroit où on pouvait écouter de la musique sympa, d'ailleurs.
Yuya la regarda avec incompréhension. C'était ça son maître ? Une trentenaire qui ne rêvait que d'alcool et qui extorquait ses amis. Il était au moins rassuré par sa tranquillité et son habileté à parler avec franchise. Il n'avait pas à craindre de l'irriter ou de devoir déchiffrer des remontrances à travers la langue de bois dont beaucoup de professeurs s'armaient avec leurs élèves. Peut-être pouvait-il même oser lui poser des questions plus personnelles, se dit-il.
—Ça ne vous pose pas de problème de valeurs, de ne pas payer le repas et de le laisser vous inviter ?
—Yuya, saches qu'il ne faut jamais refuser la générosité de ses amis.
—Pourquoi ça ?
—Parce que ça ne dure jamais bien longtemps. Et puis ce n'est pas ça, avoir des valeurs. Il y a des choses bien plus importantes qui méritent un engagement à corps perdu. Si Hong a besoin d'argent, il sait qu'il peut me demander aussi. Aller, allons boire, disciple !
Ils prirent la moto et s'enfoncèrent dans les bas-fonds de Yunhai, passant par des ruelles où travaillaient des dealers, ils passèrent par des chemins utilisés par les prostituées lorsqu'elles rentraient de leurs longues nuits de travail et passèrent même devant le quartier gay, qui mit Yuya mal à l'aise.
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MASTANI
FantasíaLa Terre a bien changé. Elle est ravagée par des guerres entre des armées de Seigneurs de Guerre qui cherchent à prendre possession des dernières villes civilisées. En effet, depuis la Fracture, la magie afflue partout sur terre, elle donne à la Nat...