À Demain

Treizième partie

Quand mes parents m'ont déposé chez Louis cette après-midi là, j'étais loin d'imaginer que cela changerait le cours de nos vies à tous. Tout est devenu différent, à partir de ce moment ce n'était plus seulement Louis et moi, c'était nos deux familles réunies.

Le cancer de Louis ne l'avait pas seulement détruit lui, il avait aussi touché toutes les personnes qui l'entouraient. Louis ne parlait pas de sa vie d'avant, il ne parlait pas non plus de sa maladie, elle était là, présente, tout autour de nous, à chaque instant, mais nous ne l'évoquions jamais vraiment. À ses yeux sa vie d'avant appartenait au passé et le passé ne reviendrait jamais. Moi non plus je n'aimais pas penser à sa vie avant sa maladie, il ne voulait pas en parler et j'avais le sentiment de le trahir en me demandant à ce à quoi elle pouvait ressembler.

Nos parents sont devenus proches, ça a commencé doucement, par une invitation à dîner un soir chez Louis, un moment agréable malgré les circonstances. Puis une autre invitation pour un autre dîner, mais dans notre maison cette fois, un simple retour de politesse. Je crois qu'aucun de nous ne s'attendait à ce que ces deux dîners ne soient que les premiers d'une longue série. 

Même s'il ne me l'a jamais dit, je savais que le fait que nos parents soient devenus amis avait rassuré Louis. Ils avaient enfin des personnes à qui se confier. La maladie de leur fils les avait coupé du monde et de toute vie sociale, ils avaient cessé de voir leurs propres amis, ils avaient cessé de sortir.

Louis s'en voulait énormément, il avait conscience qu'il n'était pas responsable de sa maladie, qu'il ne l'avait pas choisi, pourtant il se sentait coupable. Il avait l'impression que parce que sa vie à lui allait s'arrêter, celle de ses proches aussi. Il avait raison, d'une certaine façon nos vies se sont arrêtées le jour où il est parti.

Louis était le capitaine de son équipe de football au lycée, il avait plein d'amis et même une petite amie. Quand il est tombé malade, il les a tous rejeté, il ne voulait pas qu'ils le voient mourir. Je l'ai su après sa mort. Après son départ, ses parents avaient besoin de me parler de lui et moi j'avais besoin d'apprendre à connaître la partie de lui qu'il ne m'avait jamais montrée. Louis avait repoussé toutes les personnes qui l'entouraient avant sa maladie, mais il m'avait accepté moi, peut être parce que je ne l'avais connu que malade. Louis ne se laissait pas approcher et quand ses parents m'ont raconté tout ça, je me suis senti privilégié, comme si j'étais différent des autres, que j'avais quelque chose de plus qui m'avait permis de rentrer dans son monde.

Louis a eu deux vies, une avant le cancer et une pendant. J'aurais tout donné pour qu'il en ait une troisième, une autre vie après la maladie.  Une vie auprès de moi, mais il est parti et je n'ai plus que nos souvenirs pour me rappeler de lui maintenant.

Les gens qu'on croisait dans la rue regardaient Louis, même si je les détestais pour leurs regards insistants, je pouvais les comprendre. Moi aussi j'avais regardé Louis avec insistance la première fois que je l'avais rencontré. Les différences et encore plus les maladies, attirent la curiosité, même si c'est malsain, c'est une réaction humaine. Je me rappelle encore de ce que je voyais dans leurs yeux, pour beaucoup d'entre eux c'était de la peine et même de la pitié, mais pour d'autres c'était de la peur. Le cancer fait peur, il effraie les gens, comme s'il était contagieux ou comme si c'était dangereux. Avec le recul, j'ai réalisé que pour beaucoup de personnes, ce n'était pas le cancer qui les effrayait, mais la mort qu'il représentait. 

Plus les jours passaient, plus j'avais peur de la mort de Louis car je savais qu'elle se rapprochait. C'était dur pour moi d'accepter le fait que je n'avais aucun pouvoir, ni contrôle sur elle.

Louis avait raison, le passé appartenait au passé, il n'avait pas de futur, il ne lui restait que le présent et je voulais le vivre à ses côtés.