Chapitre 4

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What's he getting away from?
While I'm worth your weight in gold
While we lie here in the sun
The whole wide world's about to explode


Le Toit du Monde aurait dû être abattu avant même leur naissance. C'est ce que leurs parents racontent, en tout cas. Azura et Gaël n'ont jamais pu trouver la date exacte. La carcasse de l'hôtel, ainsi que les habitations qui l'entourent, semble appartenir à un autre monde. Une sorte de quartier fantôme oublié du reste de la ville depuis des lustres.

En poussant la porte qui donne sur le toit, Azura a l'impression d'être projeté quatre ans en arrière. L'endroit est tel qu'il l'a laissé (c'est à dire complètement désert sauf pour deux chaises longues et un parasol qui semblent autant à leur place qu'un astronaute dans l'océan). Les traces de poussière et de pluie ont rendu grises des barrières autrefois transparentes. Vue d'ici, la plage paraît grise elle aussi.

Gaël essuie la chaise de droite avec un mouchoir avant de s'y installer. Il s'étire les bras et les jambes comme s'il comptait prendre le soleil alors que l'averse n'a pas faibli depuis ce matin. D'épaisses gouttes de pluie s'abattent sur le parasol. Azura retient un frisson. Il aurait dû mieux se couvrir.

Il s'allonge sur la chaise de gauche sans oser regarder dans la direction de son voisin. Malgré la nuit blanche passée à jouer leur conversation tout seul, Azura ignore par où commencer. Ses pensées s'entremêlent jusqu'à ressembler à un nœud informe dont il n'arriverait pas à trouver le bout mais, par chance, sa détresse semble échapper à Gaël.


« Ça fait longtemps. Tiens, ajoute celui-ci en jetant un sachet de bonbons arc-en-ciel sur les genoux d'Azura. Pour me faire pardonner de t'avoir planté hier soir. »


Azura sourit en reconnaissant les pastilles frappées de fleurs. Ils avaient l'habitude de s'en gaver jusqu'à saturation, à l'époque. Il s'en glisse une sous la langue, toujours muet. Un coup de vent ébouriffe ses cheveux noirs. La ville paraît tellement sinistre de là-haut. Comme une île à la dérive qui aurait oublié le reste du monde et que le reste du monde aurait oublié en retour.

Il réfléchit toujours à quoi dire quand Gaël soupire. Intrigué, Azura tourne la tête. Gaël a laissé rouler la sienne sur son siège. Ses yeux vagabondent à l'opposé de la plage, là où, au-delà de l'espace vert décharné que cette ville ose qualifier de bois, se dresse la silhouette massive de la résidence Everett. Gaël lève le pouce et tend l'index vers elle comme pour imiter un pistolet. Et tire.


« Une dent contre les riches ? s'enquiert Azura.

– Tu veux dire encore plus qu'avant ? Oui.

– Tu me rassures. J'avais presque cru que t'étais passé de leur côté.

– Quoi ? Non ... c'est plutôt l'inverse. »


Azura détaille sa tenue sans comprendre. La veste d'où dépasse la même fleur que l'autre fois, la chemise blanche fraîchement repassée, le pantalon droit au tissu noir immaculé. Il n'a pas du tout l'air plus pauvre qu'avant. Même le plat qu'ils ont partagé ce midi semblait tout droit sorti d'une autre dimension, malgré son séjour dans le micro-onde de la cafèt.


« Alors, poursuit Gaël en se redressant sur son siège, ta classe, ça donne quoi ? Les gens te parlent ou ils t'évitent comme s'ils avaient peur de finir enterrés dans le désert ?

– Plutôt la deuxième option. À part ... »


Azura hésite un instant. Il ne devrait peut-être pas lui raconter ça, mais ...

L'Envol du Corbeau [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant