ADÈS

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Coucou ! On a fait une autre petite nouvelle en cours et je trouvais ça cool de vous le partager. On travaillait sur les différentes personnalités de personnages, et j'ai décidé de choisir la personnalité paranoïaque. A partir d'une situation banale, à savoir "c'est un jeudi matin, votre personnage rentre en cours", il fallait extrapoler la personnalité du personnage dans une petite nouvelle. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que YOLO.

Update 28/03/22 : Je republie ce texte, qui a été retravaillé pour un concours de nouvelles de jeunesse il y a quelques temps et n'a pas été retenu.

Adès

La veille, les extraterrestres ont emmené Adès.

William contemple le ciel avec angoisse, la main serrée sur l'anse de son sac à dos. La foule d'élèves amassée dans la cour de récréation s'éclaircit en quelques secondes au son de l'alarme stridente du début des cours. Le petit garçon aux cheveux bruns déglutit difficilement et s'engage avec méfiance à la suite de ses camarades de classe. Ce n'est qu'un jeudi comme les autres, se dit-il. Rien ne peut t'arriver ici. Il essaye de s'en convaincre, tout du moins. Capuche enfoncée sur la tête, il s'éloigne à grands pas des autres écoliers qui le jugent du regard pour gagner les tables du fond.

Ils se demandent encore une fois quelle mouche a bien pu le piquer. Le professeur les rassure en expliquant que « William est toujours dans son monde, il ne faut pas l'embêter ». Comme s'il est invisible. Ces piques discrètes, il avait cessé depuis longtemps de leur accorder de l'attention. Ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent tant qu'ils le laisssent tranquille.

Il pose sa trousse sur un bord de la table et aligne ses crayons avec soin. Il relève la tête et lance un regard noir à l'assemblée, tournée vers lui avec curiosité et pitié. Ils baissent rapidement les yeux, gênés. Le professeur se lance dans une explication sur les multiplications, mais le garçon connait déjà tout ça et cherche immédiatement refuge dans une autre activité. William ouvre son cahier de mathématiques et se penche sur une page vierge. Les dessins qui couvrent largement ses exercices de cours se ressemblent tous : des vaisseaux spatiaux, des personnes aux visages déformés ou qui se métamorphosent en monstres sous ses coups de crayon rageurs. Ils composent son quotidien depuis quelques jours. Ils viennent le hanter toutes les nuits.

Dès qu'il ferme les yeux, la même scène se répète. Le ciel se couvre de soucoupes rondes métalliques qui enlèvent des personnes qui lui sont chères. Même Adès, son petit chien, a été emporté dans les cieux malgré ses appels de détresse. Chaque fois, il court à l'école pour demander de l'aide, et chaque fois, les personnes à qui il s'adresse se transforment en créatures verdâtres inquiétantes qui tentent de le saisir et de lui faire de mal. Il n'a jamais eu assez de courage pour aller plus loin. Alors il se réveille en nage dans son lit, terrorisé, et même les mots rassurants de sa mère ne suffisent pas à le calmer.

Lorsqu'il passe le pas de sa salle de classe, il voit les monstres partout, dans les traits en apparence innocents de ses camarades. Dans les regards suspicieux à son égard, il retrouve la volonté inébranlable des créatures qui désirent l'enlever dans le ciel. La veille, les extraterrestres ont déjà enlevé Adès. Maman lui a dit qu'il est parti au ciel, et il s'est mis à hurler de terreur. Le cauchemar se répète maintenant dans la vraie vie. Ce n'est qu'une question de jours avant que ne vienne son tour, il en est certain.

Une pression sur son épaule le fait sursauter. Ses yeux clairs passent en revue la salle de classe avant qu'il ne se jette sous la table, les bras repliés autour de la tête, sa barrière protectrice contre les dangers du monde. La peur a gagné. La peur gagne toujours. Deux mains fermes lui saisissent les poignets. Il se débat avec force, donne des coups de pied, tout en traînant son corps à l'opposé de la force de traction. Non ! Non ! Les monstres ne l'auront pas !

« William, calme-toi ! »

La voix stoppe tout mouvement instantanément. Perdu, il lance un regard peu assuré à son professeur dont le contour de l'œil gauche prend une bleutée. Il ne l'a pas raté. Les autres élèves commentent le spectacle à voix basse, hilares. Il réalise peu à peu qu'aucun danger immédiat ne le menace. Les tremblements et les larmes succèdent à la stupéfaction du moment. Il prend de grandes respirations, chasse les larmes qui troublent son champ de vision et se concentre sur les mots de son professeur qui tente de garder contenance et de le rassurer.

Le sourire du garçon en face de lui s'élargit soudain de manière mauvaise. Il lance un bout de carton dans sa direction, recouvert de papier aluminium. L'enfant prend fébrilement l'objet dans ses doigts. Une soucoupe volante artisanale. Ils se moquent de lui. Avec rage, il déchire le carton et se lève. Le professeur tente de l'arrêter, mais il n'en a pas le temps : William saisit son sac, glisse entre ses jambes et court vers la sortie. Sa taille fine lui permit de passer aisément entre les barreaux de la grille d'entrée.

« William ! »

La voix de son professeur ne l'arrête pas. Ces lumières étranges autour de lui non plus. Il veut fuir. Fuir loin de ces monstres qui lui font vivre cet enfer. Et puis, il y eut cette lumière, vive, au-dessus de lui. Il se fige, stupéfait.

« Adès ? C'est toi ? »

Il y a un flash, et puis du silence.

Lorsque le professeur essoufflé arrive au milieu de la route, il ne reste plus qu'un cartable rouge sur le bitume.

Adès | NouvelleWhere stories live. Discover now