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Ma montre indique 23h00 et des bruits de pas résonnent dans les couloirs : la chasse a commencé. Je m'appelle Sam et je suis une personne assez spéciale : je suis capable d'ouvrir des portails pour aller n'importe où dans le monde et je parle toutes les langues du monde. Des portes claquent : on me cherche. J'ouvre ma fenêtre et mes volets le plus discrètement possible et attache ma corde à ces derniers. Je m'y laisse glisser et atterris sur la terre battue qui entoure ma maison. Je cours vers le portail, l'ouvre, le claque et cours de nouveau vers la forêt. Heureusement (ou malheureusement), j'ai prévu le coup et suis en tenue normale et en baskets. Je sens un regard insistant sur moi et je me retourne mais, ne vois rien. Je trébuche sur une racine. Deux phares surgissent devant moi et je me dépêche de me relever. La voiture pile et je me remets à crapahuter dans la forêt. Un arbre semble surgir devant moi, et, avant de le heurter de plein fouet, je créé inconsciemment un portail vers une autre destination. Je refais surface dans ce qui semble être un collège. Je commence à déambuler en courant dans les couloirs quand je tombe sur un surveillant. Il commence à me hurler dessus en allemand, mais cela ne pose pas de problèmes, je vous l'ai dit : je parle toutes les langues du monde. Le pion me crie que je devrais être en cours depuis dix minutes déjà et toutes les portes du couloir s'ouvrent, laissant voir les têtes ébahies des élèves. Je fonce sur le surveillant pour le bousculer d'un puissant coup d'épaule. Je redémarre en trombe et cours vers les escaliers : une horloge indique 14h13. Ce fuseau horaire confirme mes pensées : je suis en Allemagne. Je dévale les escaliers en manquant plusieurs fois de finir de les descendre en roulé-boulé. Partout où je passe, les portes s'ouvrent dans les couloirs à cause du raffut que je fais. Ma montre sonne : cela fait un quart d'heure que je cours à toute allure. L'avantage de me faire repérer par tout le collège, c'est que comme toutes les portes des salles occupées s'ouvrent, je peux repérer facilement une salle libre, mais c'est bien mon seul avantage : avec la chance que j'ai, on voudra m'arrêter pour violation de lieu d'étude ou quelque chose comme ça. Je trouve enfin mon bonheur : une salle vide. Je me rue dessus, la force rapidement, m'y engouffre et la barricade comme je peux. Face à mon adversaire, ça ne tiendra pas bien longtemps, mais bon. Je m'adosse contre le mur, les jambes tremblantes et je m'efforce de calmer ma respiration. Mon poursuivant est la progéniture de deux expériences ratées : en l'an 2024, un scientifique américain avait créé deux prototypes d'une même chimère : il avait voulu obtenir la fusion parfaite entre une femme et un tigre blanc et un homme avec le même animal. L'expérience avait raté et avait créé une chimère bipède avec des pattes, des oreilles, une queue et des yeux de tigre sur un corps velu d'humain. Des crocs luisants surmontent ses lèvres et ses griffes acérées sont capables de fracasser du béton. Mais ce qui les rend particulièrement redoutables, c'est leur intelligence humaine et leur vue surdéveloppée. Depuis leur naissance, ces bêtes ont commencé à se reproduire comme des lapins. En plus, ces horreurs peuvent détecter un portail de téléportation quand il a été créé et peuvent le refaire à l'identique. Ils ne que chassent les hommes que lorsque ces derniers en ont vu un en vrai oui, oui ils sont capable de le savoir- ce qui, bien sûr, est mon cas (ils chassent aussi les lapins). On appelle ces choses les « Homiogrès ». Aucune arme connue à ce jour ne peut les toucher sous leur fourrure. Si une telle créature a autant d'avantages, elle a aussi un défaut immense : elle ne peut chasser qu'une heure par jour, sinon ses forces la quittent et elle meurt. Quant à moi, je suis la progéniture d'une autre expérience réalisée cette fois-ci en 2019. Je sens mon pouls ralentir quand j'entends des bruits venant de la porte : l'homiogrès qui me traque tente sans succès de l'ouvrir. Je reprends le contrôle de mes nerfs et commence à créer un portail. Mon assaillant se met à détruire la porte à coups de griffes. Je pénètre dans le portail en me demandant où je vais atterrir, car, si je ne me concentre pas suffisamment, mon moyen de transport m'emmène dans un lieu presque aléatoire. Je sors du portail et commence à tomber en chute libre, mais j'aperçois un lac en contrebas. Crash dans...5...4...3...2...1... Je fais la bombe du siècle et commence à couler. Je me mets à nager, mais l'eau semble me happer. Je redouble d'efforts et parvient à percer la surface du lac. Je me dirige vers la berge et me hisse sur la terre ferme. Je m'écroule et reprends ma respiration. Je me relève et regarde autour de moi : le soleil se couche et des étoiles commencent à apparaître dans le ciel. L'horloge du clocher qui me fait face six cents mètres plus loin indique 18h20. Le lac semble avoir un diamètre d'environ trente-cinq mètres et derrière moi, une forêt s'étend à perte de vue. J'opte pour cette dernière, car (étrangement) je ne me vois pas parcourir trente-cinq mètres à la nage alors que la fatigue me rattrape. Je pourrais bien sûr en faire le tour, mais ce serait trop long. Je cours donc en direction du couvert des arbres. Aucune trace de la bête, ce n'est pas bon signe. Je croise deux randonneurs et parviens à saisir une partie de leur conversation, mais cela ne me sers qu'à déterminer l'endroit où je me trouve : le Japon. Je sens un point de côté se former à ma droite, mais je continue de fuir, car telle est ma vie : fuir. Mon pied bute contre un caillou et je me tords la cheville. Ma montre sonne une deuxième fois. J'entends des bruits derrière moi, je tourne la tête et ne remarque que des dents et des yeux brillants dans la pénombre, mais cela suffit à me terrifier. L'adrénaline me pousse et je parviens à courir plus vite. Je repère un vieux cabanon devant moi et m'y précipite. Ma cheville et mon point de côté me ralentissent, mais je parviens au cabanon sans trop de difficultés. Je ferme la porte qui tremble sur ses gonds et m'accorde quelques secondes de répit. La porte ne tiendra pas bien longtemps, mais c'est mieux que rien. Je créé un portail le plus rapidement possible et m'y engouffre pour atterrir... dans la salle d'attente d'un médecin. Il n'y a aucun patient dans la salle mais les lumières sont allumées : le médecin est sûrement en train d'examiner quelqu'un. Une horloge indique 23h40. Une minute ! C'est la même heure que ma montre indique ! Elles sont donc réglées sur le même fuseau horaire ! Je me rue vers la sortie et tombe directement sur une publicité : elle est en français ! Je suis de retour chez moi : la Nouvelle-Calédonie. Maintenant quelle ville ? Je n'en ai aucune idée, j'en saurai plus quand je l'explorerai : je connais mon île natale par cœur. Je recommence à courir et à déambuler dans les rues. Je renverse au passage plusieurs poubelles sur mon chemin. Ma montre sonne pour la troisième fois. Ma respiration est de plus en plus hachée, mais au moins, je sais que je suis proche de chez moi. Je sens que la créature n'est pas loin malgré mes efforts mais je me rends compte que l'adrénaline qui me faisait tenir jusque-là commence à retomber. Malus supplémentaire ? Mon point de côté ne fait qu'empirer depuis tout à l'heure. Je frissonne : je n'ai pas encore séché depuis ma baignade forcée au Japon. Je cours encore quelques dizaines de mètres et arrive sur une plage dégagée, je continue encore un peu et m'écroule sur le sable fin. La peur a envahi mon corps et je transpire par tous les pores de ma peau. Mes dents claquent à cause du froid, de la fatigue et de la peur. Mes mollets sont en feu, ma respiration de plus en plus hachée et mon cœur bat à tout rompre mais je me redresse et repars en laissant des sillons dans le sable. Il me semble entendre un rugissement derrière moi... Je repère un escalier remontant vers la ville et m'y engage. J'arrive dans une rue et la remonte le plus rapidement possible. Là, deux choix s'offrent à moi : monter ou descendre. Je n'hésite pas une seule seconde et descends la pente. Du sable tombe de mes cheveux d'ébène et ma transpiration les colle à mon visage. Je slalome entre les lampadaires, saute par-dessus les bancs et ne ralentis que quand la pente descend trop ou que je manque de tomber. Après ce qui me semble être une éternité, j'aperçois enfin un parc quelques mètres plus loin. Dans mon élan, je saute par-dessus la clôture. Je me cache derrière une statue en haletant et me force à calmer ma respiration et à ne plus faire aucun bruit. J'entends des pas et plaque ma main contre ma bouche. Je sens la bête passer près de ma cachette et je me force à ne pas bouger. J'attends encore quelques minutes pour reprendre mon souffle et m'assurer que l'homiogrès est parti puis je dirige vers le portillon pour sortir quand un mouvement attire mon attention : je pensais avoir échappé à la créature, mais c'était sans compter sur son intelligence. Mes jambes sont paralysées, mais je me force à reprendre ma fuite : c'est mon unique chance ! Là encore, l'adrénaline m'aide car je parviens à distancer le monstre et à courir encore un peu. Je m'enfuis encore vers le dédale de la ville et cours droit devant moi. Je me retourne juste à temps pour voir mon assaillant bifurquer, mais je ne prends pas le temps de réfléchir et continue ma course. Remonter la pente me demande des efforts surhumains, mais j'y parviens. Je vois une bifurcation et mes cheveux se dressent sur ma tête, car je comprends (trop tard) pourquoi la bête a tourné quelques instants auparavant : la rue qu'elle avait empruntée rejoignait la route et j'étais pile devant la sortie de cette rue... Je ne peux que regarder dans l'impuissance la plus totale le monstre me foncer dessus et me plaquer au sol. Je ne songe même pas à me défendre, car la chimère fait au moins un mètre quatre-vingts cinq et pèse au moins cent dix kilos, et je n'aurais pas pu le faire de toute façon car la peur me paralyse toujours. Je vois les griffes de l'animal se diriger à la vitesse de la lumière sur mon cou mais le temps semble ralentir -sans doute un effet de mon expérience de mort imminente. Au moment où les griffes de la chose touchent ma gorge, je sens que le coup est incroyablement mou et que ma peau est à peine éraflée et je comprends ce qui se passe. Je dis à l'homiogrès :

« Temps écoulé ! »

Et effectivement ma montre sonne pour la quatrième fois : l'homiogrès meurt sous mes yeux et je me mets à rire. Un peu au début et je termine sur un fou-rire. Je suis en vie et c'est tout ce qui compte pour moi. Je regarde ma montre : 00h01. Je retourne chez moi afin de prendre un repos bien mérité...jusqu'à demain.


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⏰ Dernière mise à jour : Jan 20, 2019 ⏰

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