Chapitre 41

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Sur le trajet du retour à la maison, Luc n'a pas pipé mot. Il s'est contenté de me déposer chez moi, et de repartir aussitôt, sans que je comprenne d'où venait cette distance qui s'était soudain instaurée entre nous. Et il en a été de même tous les jours qui ont suivi. 

Chaque matin, il est venu me chercher - ponctuel, comme toujours - mais il ne me parlait pas, ou très peu. Et une fois au lycée, ce n'était guère mieux. Il m'écoutait d'une oreille distraite, et soit il me répondait à côté, soit pas du tout. J'en suis venue à me demander s'il ne me faisait pas la tête à cause de mon rapprochement avec Cooper. Une histoire de jalousie ou de lassitude concernant mon indécision. Je ne sais pas, et ça me tue de ne pas comprendre.

Depuis le départ de ma mère, Luc et mon père sont les deux soutiens qui me permettent de tenir le coup au quotidien. L'un pour sa bonne humeur et son enthousiasme à toute épreuve, et l'autre pour son soutien indéfectible. Bien sûr, ce ne sont pas les seules raisons qui font que je les aime, mais ces qualités - entre toutes celles qu'ils peuvent avoir - sont celles qui m'apportent le plus dans ma vie de tous les jours. Grâce à ça, et à eux, j'ai trouvé mon équilibre.

Et depuis mardi, j'ai l'impression d'avoir été amputée d'une part de moi-même. Tout m'apparaît plus fade et sans saveur, depuis que je n'ai droit qu'à cette version "service minimum" de mon meilleur ami. Lui qui transpire toujours la joie de vivre et qui s'amuse de tout et de rien, me semble éteint. Alors, je me demande si ce changement est de mon fait, ou s'il y a autre chose qu'il refuse de me dire.

Quoi qu'il en soit, cette situation est en train de me rendre dingue. Il va falloir que les choses changent, et vite, sans quoi je risque de perdre la boule pour de bon. Avec tous ces changements qui ont bouleversés ma vie ces derniers temps, j'ai plus besoin de lui que jamais, mais justement à cause de ces bouleversements,  je me rend compte que je n'ai pas été très présente pour lui. Aussi, je me dis que peut-être, j'ai raté quelque chose d'important, et qu'il m'en veut. 

Mais comment pourrais-je le savoir, s'il refuse de me parler ?

C'est pourquoi j'ai décidé de le confronter, ce soir, quand il me ramènera après les cours. Je ne sortirai pas de voiture, pas tant qu'il ne m'aura pas parlé, et qu'il ne m'aura pas dit ce qu'il a sur le coeur. Et comme je ne suis qu'à une heure de la délivrance, je trépigne littéralement d'impatience. C'est le dernier cours, de la dernière journée de classe de la semaine, et si je tape du pied, ce n'est pas seulement parce que je suis pressée d'être en week-end, mais bien à cause de l'angoisse liée à ce que mon meilleur ami pourra bien me dire tout à l'heure.

Alors pour me distraire, et comme Mr Preston n'est pas encore arrivé, je consulte rapidement le message envoyé par Tommy. Depuis notre réunion et la mise au point d'une stratégie commune visant à abattre Madison, les membres du club de photographie n'ont pas chômé. En fait, on peut même dire qu'ils ont pris la relève.

Après la publication de la photo de la garce, le doigt dans le nez, les commentaires ont fusés et la peste blonde n'a pas daigné répondre. Pourtant, son nom était sur toutes les lèvres, et pas en termes élogieux. Donc, un peu déçus de ne pas avoir suffisamment agité la princesse - pas assez pour qu'elle se donne la peine de contre-attaquer, du moins -, et peut-être un peu rassurés à l'idée qu'elle ne réponde pas, ma petite bande de geek s'est mis à l'ouvrage. Chaque jour, ils l'ont traquée pour avoir un ou plusieurs clichés à se mettre sous la dent. Et finalement, ils en ont obtenus assez pour dédier une page Facebook à leur projet. Intitulée "La face cachée de la Homecoming Queen", leur création a déjà remporté un franc succès. Il y a presque autant d'abonnés que de Seniors à Fellpoint High, après trois jours d'existence seulement, c'est un véritable exploit. Tommy me faisait parvenir leur dernière contribution à la page, on y voit Madison, en pleine réflexion, la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés. Une vraie merveille. Le sourire aux lèvres, je le félicite pour leur trouvaille quand j'aperçois du mouvement dans mon champ de vision.

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